La première lecture, tirée du livre de la genèse (Gn 2, 18-24) est un extrait du deuxième récit de la création. Le premier chapitre de la genèse, cosmo-centré, nous racontait dans un poème magistral, comment Dieu a créé l’univers et la terre en 7 jours. Et pour chaque jour Dieu clame son admiration ! Quelle belle vision poétique, positive, du monde et de l’humanité ! Les récits de création n’ont, cela dit en passant, aucune prétention scientifique, mais ils recherchent ce qui était au commencement, littéralement “dans la tête de Dieu“, ils nous racontent le “projet“ de Dieu. La visée est théologique et spirituelle. Le deuxième récit, au chapitre 2, est paradoxalement bien antérieur au 1er. D’après les exégètes, il serait même très ancien et pourrait dater en bonne partie de l’époque du roi Salomon, au 10è siècle avant notre ère. On y voit Dieu artisan qui, tel un potier, modèle l’humain. Il ne s’agit pas de l’homme sexué, le mâle, mais bien de l’humain, en hébreu “Adam“ : celui qui est tiré de l’humus, de la terre, de l’argile, qui se dit en hébreu “adamah“. Le récit traite donc de l’humain, de l’humanité en général et pas d’un individu particulier qui s’appellerait Adam ! Et voici que l’humain, l’Adam éprouve la solitude. Alors Dieu tire de la terre (“adamah“) des animaux terrestres, mais aussi des oiseaux qu’il façonne. Il les amène à l’humain pour qu’il les nomme, comme nous aussi nous apprenons à nommer dès tout petits, les animaux et les fleurs. Et n’est-ce pas une grande joie pour des parents, des grands-parents que de faire exister pour leurs enfants et petits-enfants les êtres vivants dans le champ sémantique qui élargira leurs horizons et les positionnera comme humains au milieu, ou à vrai dire au sommet de la création ? Mais l’émerveillement laisse place chez l’Adam à la solitude éprouvée de manière encore plus forte, car il n’a pas trouvé parmi les animaux qu’il a nommés, une aide qui lui est assortie. Et nous pouvons penser à tous ces jeunes, surtout en cette période de crise sanitaire et de confinements multiples, à tous ces jeunes et parfois même moins jeunes, qui ne trouvent pas de partenaires, pas de conjoint… Certes, les animaux de compagnie peuvent s’avérer utiles et même très précieux quand on vit seul, mais ce n’est pas la même chose qu’un conjoint ! Alors Dieu plonge l’humain littéralement “dans une torpeur“. Cette image préfigure une action extrêmement puissante de Dieu qui dépassera complètement l’entendement humain. Il prend littéralement un flanc, donc un côté bien plus qu’une côte, d’Adam. Un côté, ne seraitce pas peut-être même une moitié ? Peu importe, car voici la première mention d’un être sexué et ce n’est pas l’homme, le mâle, mais bien la femme ishsha qui apparaît en premier. Même si certains archéologues bibliques voient dans ce récit un reliquat de tradition patriarcale, le message est bien celui d’une complémentarité homme/femme, deux êtres sexués, c’est-à-dire littéralement séparés, coupés (du latin “secare“), incomplets, éprouvant la solitude et le besoin l’un de l’autre. L’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et ils ne formeront plus qu’une seule chair, littéralement une seule révélation.
Dans le texte d’Évangile que nous venons d’entendre, nous voyons des pharisiens qui veulent éprouver Jésus en lui demandant s’il est permis de répudier sa femme. Et Jésus les renvoie à la loi de Moïse, à leur loi. Or la loi de Moïse en question ne parle pas de répudiation si ce n’est dans un seul passage (Dt 24, 1-4). Or dans ce passage, le deutéronomiste ne fait que constater que la répudiation existe. Le texte donne une instruction sur le cas où une femme divorcée et remariée voudrait retourner vers son premier mari. En fait, il semble bien plutôt que l’acte de répudiation tel qu’il est cité par les pharisiens soit plutôt un acte légal d’origine romaine comble de l’ironie pur un pharisien ! Il s’agit en quelque sorte d’un acte de divorce civil établi devant des tribunaux, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Sauf qu’à l’époque le mari pouvait répudier sa femme, mais pas l’inverse. Pour répondre aux pharisiens, Jésus retourne aux sources, au projet de Dieu, à ce fameux verset 27 du 1er chapitre du premier livre de la bible : “Dieu créa l’humain à son image, à son image il le créa, homme et femme il les créa“. Ce verset est cité dans toutes les préparations au mariage dont il donne le sens profond du sacrement : dans l’amour réciproque d’un homme et d’une femme, Dieu reconnait son amour pour son peuple, pour l’humanité, pour chacun d’entre nous. C’est merveilleux et cela devrait nous inviter à prier tous les jours pour les couples, afin qu’ils grandissent dans la belle promesse qu’ils se sont faite et que le Seigneur accompagne et bénit. Quant à la répudiation, Jésus met l’homme et la femme sur pied d’égalité stricte, ce qui est je pense inédit, inouï pour l’époque : dans les deux cas il s’agit d’un adultère. Et voilà les pharisiens renvoyés à leurs études ! La suite de l’Évangile nous parle d’accueillir Dieu comme un enfant. Il n’a pas de rapport direct avec le récit précédent.
Mais il me donne l’occasion de communiquer à ceux qui ne le sauraient pas encore que mardi prochain, dans deux jours, sera officiellement et publiquement remis à la conférence épiscopale française par le professeur Sauvé le rapport de la CIASE (Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église), fruit de deux ans de travail minutieux. Il s’agit d’un rapport sans concession, terrible puisqu’on y parle de 200000 cas d’agressions sexuelles commises par des prêtres, religieux et religieuses ces 70 dernières années en France. Comment peut-on abuser de ce qu’il y a de plus beau et de plus innocent dans un enfant : cet élan d’amour qui le porte vers Dieu dont il est par excellence le visage ? Comment peut-on à ce point instrumentaliser Dieu à ses propres fins perverses de pouvoir et de jouissance ? C’est proprement inhumain ! Peut-on imaginer des actes qui défigureraient plus le visage de Dieu ? Nous prions et prierons pour les victimes de pareilles agressions, que leurs auteurs soient engagés dans l’Église ou non d’ailleurs et nous encourageons et encouragerons celles qui se taisent à oser une parole qui les libérera !
Vincent Klein, sj