Homélie de la Toussaint: Mgr Aveline: « Avance Au Large »

Chers amis ignatiens,

Le peuple de Dieu qui vit à Marseille a été heureux, très heureux, de vous accueillir pendant ce long week-end, et il vous remercie chaleureusement d’avoir choisi notre ville pour ce grand événement. Marseille, vous l’avez bien senti, est une ville de contrastes. Météorologiques d’abord : il pleut rarement, mais quand il pleut, ce n’est pas du crachin ! Sociologiques ensuite : vos déambulations dans certains quartiers de la ville auront suffi, je pense, à vous faire sentir qu’ici, on peut changer de pays en traversant la rue et faire le tour du monde en moins de quatrevingts heures ! Ecclésiologiques enfin : au cours des visitations pastorales que vous avez pu vivre avec des communautés chrétiennes du diocèse, vous avez sans doute perçu combien la petitesse n’est pas un obstacle à la ferveur, tant est palpable ici cette vocation à la catholicité qui rappelle à l’Église, fût-elle très minoritaire, sa mission d’espérance pour le monde entier.

Et nous voilà ce matin, après ces journées intenses, réunis ici pour vivre, à l’unisson de toute l’Église, la fête de tous les saints. La Toussaint, c’est un peu comme une forêt en automne, lorsque les arbres, les arbustes et même les petits buissons de rien du tout, se revêtent de couleurs plus vives et plus somptueuses les unes que les autres. Si vous aviez marché en été dans la même forêt, vous n’auriez rien remarqué : chacun arborait discrètement son ton de vert, passant inaperçu le long des GR de la vie. Mais la grâce de Dieu, qui garde souvent le meilleur pour la fin, est capable de révéler par une lueur d’automne la splendeur de tant d’existences que l’on avait cru ternes. Parfois, dans les forêts, ce sont les tout petits buissons qui donnent le rouge ou le jaune le plus éclatant.

Peut-être, et même sûrement, en déambulant dans les rues de la ville, en avez-vous croisé, de ces existences qui, même si personne ne s’en émeut, traversent la grande épreuve et ont déjà pris rang dans la grande foule de l’Apocalypse. Je pense à ce jeune migrant, débarqué récemment à Marseille après avoir subi l’enfer des camps de concentration libyens. Je pense à cette jeune femme, rencontrée aux Baumettes, et que j’ai eu l’immense joie de baptiser en prison, grâce au témoignage quotidien de sa co-détenue, qui lui permit de découvrir la présence du Christ entre les murs de leur cellule. Je pense à cette vieille dame africaine, visitée l’autre jour dans l’un des EHPAD les plus pauvres de la ville, et dont le sourire édenté traduisait une 2 dignité intérieure que rien ne pourrait détruire. Je pense à ces personnes que je reçois longuement, qui ont subi toute sortes d’abus, dans l’Église ou hors Église, victimes innocentes de bourreaux inhumains.

La sainteté n’est pas une fuite dans l’illusion de l’angélisme, elle est plutôt un appel à développer la bonté et la beauté de l’humain en luttant contre toute forme d’inhumanité. Devenir saint, c’est accepter d’entrer dans l’amitié du Christ, en vivant au jour le jour la fraternité avec les hommes et les femmes dont il a fait ses amis, et qui débordent largement les rangs de nos assemblées. Car tout homme, toute femme, est un frère, une sœur, pour qui le Christ est mort. Pour avancer sur ce chemin de sainteté, un travail de conversion personnelle est nécessaire, ainsi qu’un processus de transformation incessante de l’Église, semper reformanda, afin qu’elle soit plus évangélique. La voie synodale qui nous est actuellement proposée devrait nous y aider. Vous savez comme moi que nous avons, ensemble, beaucoup de chemin à faire !

Toi qui es venu à Marseille ce week-end, cherche donc la voie de ta sainteté dans la grande itinérance du peuple de Dieu ! Dose par toi-même le jaune, le rouge ou le vert que la grâce offre à ta liberté sur la gamme chromatique du buisson ardent. L’Esprit Saint ne fait pas de toi un esclave ni un pseudo anonyme de réseaux sociaux, mais un homme, une femme, libre, un enfant de Dieu unique dans la grande famille humaine. Veille sur les plus fragiles. Ne permets pas que le sacré soit perverti, lorsque ceux qui prétendent en être revêtus oublient qu’ils sont des serviteurs et deviennent des prédateurs. Prends pour boussole la bonté du Christ envers tous et son exigence de justice. N’aie pas peur si cela te vaut d’être persécuté à cause de l’Évangile. Apprends à discerner le travail de l’Esprit. Apprends à écouter. Apprends à recevoir. Alors tu deviendras capable de donner sans imposer, d’offrir sans attendre en retour, de tout accueillir pour tout épanouir. Alors tu sauras que la pauvreté de cœur, si l’on y consent humblement, est le creuset que l’Esprit préfère pour pouvoir accomplir, en toi et pour le monde, son œuvre de libération. L’évêque que je suis vous dit cela du fond du cœur, chers amis, et il se le dit à luimême, avant de partir à Lourdes tout à l’heure pour une assemblée plénière que je confie, plus que jamais, à votre prière.

Et pour aider le Seigneur à faire de nous un peuple à l’écoute de sa Parole, afin que nous accueillions en vérité le message des Béatitudes, j’ai demandé à Sœur Christine Danel, supérieure générale des Xavières, cette communauté née ici, à Marseille, il y a tout juste cent ans, de bien vouloir nous proposer maintenant quelques pistes de méditation.

+ Jean-Marc Aveline

Méditation sur l’Evangile des Béatitudes, de Sœur Christine Danel, supérieure générale de la Xavière

Heureux, heureux, heureux … c’est la proclamation que nous entendons chaque année à la Toussaint. Tous saints ?

Comment oser parler de sainteté après la découverte de l’ampleur des crimes perpétrés au sein de l’Église ? Comment la sexualité, le pouvoir, le sacré ont-ils pu être dévoyés à ce point ? Il nous faut beaucoup d’humilité dans nos discours, et bien du courage dans nos actes pour nous réformer…

M’est revenue ces temps-ci cette phrase de Pascal. « Qui fait l’ange fait la bête… » Non, nous ne sommes pas des anges, mais bien des êtres humains ! « Homme et femme Dieu les créa ! » nous dit la Genèse. Et d’ailleurs, Dieu vit que cela était très bon ! Nous avons du chemin à faire, pour déployer cette altérité, dans tous les domaines de la vie de l’Église, y compris dans l’accès à la parole et à la gouvernance, pour la recevoir vraiment comme une richesse, un don de Dieu! Êtres humains sexués, et donc par définition incomplets, en manque, nous sommes des êtres de désir, un désir qui nous tourne vers l’autre, et vers le Tout Autre!

Ainsi, la sainteté n’est pas d’être parfait, avec l’illusion d’être « des anges » ! L’illusion de la perfection est un leurre, qui peut nous conduire à la frustration, au dépit, ou à l’hypocrisie, pour masquer nos manquements.

Être saint, n’est-ce pas plutôt être humain, bien humain, et pleinement humain comme nous y invite le prophète Michée. « On t’a fait savoir homme ce qui est bon, pratiquer la justice, aimer la miséricorde, et marcher humblement avec ton Dieu ! ».

Jésus proclame bienheureux ceux qui assument ce manque ! Bienheureux vous les pauvres, vous qui pleurez, vous les doux, vous qui avez faim et soif de la justice, vous qui cherchez la Paix…. Alors vous serez consolés, vous verrez Dieu, vous serez appelés fils (et filles) de Dieu…

Si Jésus proclame bienheureux ceux qui ne sont pas saturés de leurs biens et d’eux-mêmes, c’est sans doute que le bonheur est dans cette capacité à désirer, à se recevoir de l’autre, à se réjouir de ne pas être tout puissant ! Alors on peut vraiment se mettre à l’écoute des autres, entendre le murmure de l’Esprit à l’œuvre dans nos vies, dans la vie qui se donne !

Dans la lecture de l’Apocalypse, nous voyons la foule immense des témoins. Tournés vers le Trône de l’Agneau, ils ont traversé la grande épreuve. Ils ont accepté le chemin du serviteur, chemin pascal qui va jusqu’à la Croix, qui offre la vie, le pardon.

Dans cette foule immense des saints, il y a les saints de la porte d’â côté, ceux qui font le bien sans faire de bruit, les humbles de la terre. Ces personnes ne brillent pas, mais par leur simplicité, leur douceur, leur bonté, leur manière d’aimer et de vivre, elles sont des sources d’espérance, de consolation et de joie pour ceux qui les côtoient. Ignace nous invite à découvrir comment Dieu travaille et habite les créatures. Demandons ce regard assez pur pour discerner l’Esprit à l’œuvre dans notre monde et pour reconnaitre ces saints qui nous accompagnent et nous entrainent !

Enfin, c’est un peuple qui est saint ! Nous ne pouvons pas vivre la sainteté tout seul ! C’est ensemble, les uns avec les autres que nous sommes sauvés. Hommes femmes, jeunes, vieux, familles, consacrés, laïcs clercs… Chacun apporte sa pierre à l’édifice et constitue avec les autres le Corps du Christ ! Tous ensemble, habités par l’Esprit qui travaille en chacun, tous interdépendants, comme l’expérience du Covid nous l’a bien montré. La vision de l’Apocalypse est une belle image de l’Eglise synodale que nous sommes invités à vivre et à rêver ensemble, appelés pour témoigner de la fraternité et de l’amour possible.

Bonne fête de la Toussaint.

Christine Danel, supérieure générale de la Xavière

Homélie du P. François Boëdec, Provincial, 31 octobre, à Saint Ferréol, Rassemblement « Avance au Large »

Chers amis,

Cet évangile nous présente une belle scène. Une vraie rencontre, un havre de paix au milieu des discussions tendues que Jésus a souvent avec ceux qui s’opposent à lui. Ici, entre le scribe et Jésus, pas d’arrière-pensée, mais une conversation pour avancer vers l’essentiel. Quel est le plus grand des commandements ? Autrement dit : qu’est-ce qui est le plus important dans la vie ? Sans hésiter, Jésus cite la prière traditionnelle du Shema Israël que son interlocuteur connaît depuis l’enfance. Le premier commandement qu’il rappelle, en contient en fait deux, puisque la citation du Deutéronome commence par l’invitation : « Ecoute ». « Ecoute, Israël, » – et se poursuit par : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». Mais Jésus ne s’arrête pas là. Il ajoute un autre commandement du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain ». Jésus commande à nouveau d’aimer, mais l’objet de cet amour est cette fois le frère.

Le scribe connaît tout cela. Il sait l’absolu de Dieu, il sait que Dieu est l’unique. Et Jésus se réjouit de voir cet homme qui a cette connaissance. Mais il perçoit aussi qu’il n’a pas encore complètement franchi la distance qui le sépare de Dieu : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». C’est à dire : « tu n’y es pas complètement, continue… ». Tout le contraire de ce que le larron sur la croix s’entendra déclarer : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis ! » Mais pourquoi ce scribe est-il donc à distance du Royaume ? Pourquoi ce « tu n’es pas loin » que nous pouvons entendre pour notre propre vie ? Comme pour le jeune homme riche de l’évangile, il y a quelque chose qui manque à cet homme.

Le jeune homme riche, vous vous souvenez, demande à Jésus « que dois-je faire pour avoir la vie ? ». Le scribe, lui, semble prisonnier de son savoir. A force de scruter les Ecritures, il sait tout des commandements ; il est capable d’en débattre savamment : aimer Dieu, aimer le prochain, et les liens entre ces deux amours. Cette compréhension est précieuse dans les enjeux qui travaillent nos sociétés. Mais on ne peut en rester là. Aujourd’hui comme hier, il faut agir et engager sa vie.

Alors, pour ne pas rester enfermé dans des réflexions solitaires, il faut revenir au premier mot : « Ecoute ». C’est lui qui donne la clé. Jésus ne dit pas : « Lis, tout a déjà été écrit », comme s’il n’y avait qu’à connaître un texte, un credo, un catéchisme, pour vivre… Il ne dit pas « lis », il dit « écoute », tends l’oreille de ton cœur. Nous sommes ici entre des personnes qui s’adressent l’une à l’autre, qui ont des choses à se dire et qui franchissent par la parole la distance qu’il y a entre eux. Ecouter, c’est laisser entrer en soi ce que l’autre veut nous dire, ce qu’il donne de lui, et s’en laisser modifier. C’est la manière de faire de Dieu. Ecoute Israël, tu aimeras… C’est l’écoute du Seigneur qui donne d’aimer. Et c’est cela le plus important. Parce que personne ne peut vraiment vivre sans être aimé.

En fait, frères et sœurs, dans cette scène, l’évangile ne nous parle pas seulement de la quête du scribe qui est celle de toute l’humanité, il nous parle aussi de Dieu. Dieu qui le premier désire être aimé de l’homme, et qui le premier s’est engagé dans cette relation. La passion de Jésus, c’est cet amour rejeté, refusé. La Résurrection, c’est la révélation que Dieu nous aime plus fort que nos refus. Le Seigneur nous demande de nous attacher à lui parce qu’il veut que nous vivions. Et il peut nous faire cette demande parce qu’il s’est déjà attaché à nous. Il ne vole pas notre liberté, il engage la sienne et – c’est là le paradoxe évangélique -, il nous fait découvrir la liberté profonde qu’il y a à engager la nôtre envers lui. Jésus est celui qui vit ensemble l’amour de Dieu et du prochain, et qui nous rend capables de le vivre aussi dans les réalités de notre vie.

Alors, que faisons-nous ? Sommes-nous prêts à nous décider pour lui ? De tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toute notre force ?

« Donne-moi seulement l’amour », demandait St Ignace de Loyola dans sa prière au Seigneur. Chacun de nous peut reprendre cette prière dans son cœur : elle met sur le chemin de la fraternité et de la résurrection.

                                                     P. François Boëdec sj, Provincial d’EOF