Homélie du 17 octobre 2021

Fête de St Lazare, Saint patron du diocèse de Marseille

Que de gestes et d’attitudes belles, étonnantes ! La salutation d’Abraham à l’égard d’inconnus de passages ; la préparation d’un excellent repas grâce à Sara (!) ; le service de Marthe en l’honneur de Jésus ; la présence de Lazare ressuscité des morts ; les gestes de Marie avec ce parfum ; la foule qui acclame Jésus à l’aide de branches de palmiers ! Tout cela est palpable, concret, comme dit la première lettre de St Jean. Ce que nous avons vu, entendu, touché du Verbe de Vie.
Oui, frères et soeurs, l’évangile et notre foi chrétienne qui s’en nourrit se vivent et se disent dans tant d’actes concrets de la vie de tous les jours. Dans nos vies, il y a des choses qui dépendent de nous : l’hospitalité, le service, la louange, la mémoire des bienfaits du Seigneur, la prière, tous ces gestes – même petits – de tous les jours …
Ce qui ne dépend pas de nous ? La fécondité qui va sortir de tous ces gestes. C’est Dieu qui va promettre une descendance à Abraham ; c’est le Christ qui nous manifeste son amour ; c’est lui seul qui reconnait l’amour derrière ce geste fou du parfum. C’est le Christ qui ressuscite le mort Lazare et qui revivifie ce que nous croyons mort en nous, c’est-à-dire nos capacités d’aimer, de pardonner, d’être solidaire.
Bien évidemment, tout cela rencontre des oppositions. Ici, celle de Judas qui pervertit même la beauté du geste de Marie. Nous savons et nous avons appris à nos dépens ce que peut-être la perversion même de l’amour en ces temps d’abus. Là, la jalousie des responsables de l’époque de Jésus qui voient les foules se détourner d’eux.
En cette fête de St Lazare, patron de notre église, celle dans laquelle nous vivons, notre mère, en ce temps de démarche synodale pour toute l’église et particulièrement en ce dimanche après-midi à la Major, – un synode est une réunion dans l’église qui permettent échanges et discussions sur un point important de la vie de l’Eglise – quelles attitudes allons-nous développer ?
A travers la CIASE, nous avons la chance de pouvoir compter sur des amis qui nous aident à avoir une attitude juste, respectueuse, évangélique ; à reprendre un élan de témoignage par le service et l’hospitalité vraie ; à réfléchir ensemble et échanger sur nos modes de fonctionnement dans cet esprit synodal.
Il y a ce qui dépend de nous ; il y a ce qui dépend de Dieu ; accueillons cette Vie qui vient du Christ et de son Père. Travaillons humblement au Royaume de Dieu.

Michel Joseph, sj

Homélie du 10 octobre 2021


En ce jour après la semaine que nous venons de traverser, je vous propose une méditation sur le silence en trois étapes :
L’avez-vous remarqué ? Le silence… le silence du jeune homme qui s’en va tout triste… il ne répond rien, ne rajoute rien, il s’en va s’en protéger ou contre argumenter. Il ne se justifie pas, le silence.

Ce silence en dit long et ce silence cherche à nous dire autre chose …
Qu’il y a un moment où le silence est triste car on ne sait quoi faire de soi, un silence de respect parce que l’on réfléchit, un silence de sidération car la mort rôde et nous entraîne, un silence d’incertitude car on ne sait pas comment réagir. Le silence des victimes, silence lourd et pesant rendu muet par les actes posés.
Le jeune homme riche est plein de promesse, de ce jeune homme l’évangile ne parle plus, nous n’en connaissons même pas le nom. Un des rares personnages de l’évangile dont le texte nous dit que Jésus l’aima. Son regard posé sur lui est un regard de tendresse mais le pas qui lui reste à faire semble trop grand, trop dur, impossible à réaliser.
Il était une fois une église, forte et riche de son histoire, de ses traditions et de son organisation.

Une église sainte par définition, une église, vivante ou immobile selon l’époque ; un jour en retard, un autre jour, lieu source et lieu de prière. Cette église pourrait s’en tenir à cela : un passé, une pensée et un savoir-faire. Tout comme le jeune homme.
Faites d’hommes et de femmes, elle en subit au fil du temps les affres que nous connaissons. Cette semaine avec franchise, elle a dû regarder en face des crimes dont ses membres sont et ont été coupables, protégés, défendus, et cachés. Les attitudes les plus inadmissibles ont été dévoilés : l’évangile ne dit-il pas : ce qui était caché est apparu au grand jour, ce qui était dit à voix basse a été proclamé sur les toits. Nous y sommes, Le travail de vérité a gagné une lourde bataille. Je suis la vérité dit le Christ à Thomas en St Jean, première étape de notre parcours : la vérité.
Il y aurait bien des arguments à faire valoir en contrepartie pour l’église mais aucun, à aucune époque ne peux tenir devant le visage d’un enfant, d’un innocent, de celle ou de celui qui cherche Dieu.
Si un vendredi saint par hasard nous ne savions comment le Christ est mort alors méditons ensemble ou plutôt chacun pour soi de ce qui a été dit de l’église ici dans notre diocèse, dans notre pays et dans le monde. C’est ainsi que le Christ meurt.
Lire les témoignages de ses hommes et de ses femmes vingt, trente, quarante ans après les faits doivent pour nous paroissiens être une obligation morale, comme le Christ s’arrête au bord de la route et rencontre ici un aveugle, là une femme sur le point d’être lynché. Il s’arrête et il parle, il écoute, comment pourrions-nous faire autrement et différemment ? Le jeune homme, pourrions-nous demander voulait-il vraiment la vie éternelle ? Notre église que veut-elle? La vie éternelle ?
L’humilité des hommes d’église doit passer par la lecture de ces récits, entrer enfin dans une écoute. Ne nous pressons pas de réformer, de changer les règles extérieures pour montrer à la sphère médiatique qu’il y a quelque chose de fait. Pressons-nous plutôt de lire les hommes et les femmes qui ont dû être amené à raconter une partie cachée de leur existence.
Ce qu’il nous faut changer et convertir, c’est notre regard et notre coeur. Ce qui est impossible aux hommes de donner, cela est possible à Dieu, aux victimes le chemin de la vie en Dieu est toujours possible. Je suis le chemin, deuxième étape.
Ipso facto ces hommes n’appartiennent plus au Christ, ils ont pris la part du diable, la confusion des esprits, ils ont menti à leur coeur en plus d’avoir menti à leur proche. Ils se sont mentis à eux-mêmes.
Qu’avons-nous à vendre si ce n’est notre superbe, notre fierté, nos réussites miteuses ? Oui à nous de descendre sur terre parmi les vivants, à nous de laisser de côté la richesse des mots pour les larmes de la honte et de la contrition.

Le silence est aujourd’hui la voix de notre conversion.
Vendons, séparons-nous, c’est ce que cela veut dire, ce qui nous entrave pour aller au Christ.
Allons-nous être capable de laisser de côté trônes et sceptres, richesses et pouvoir, pour avancer d’un pas vers la vie ? Je laisse la question sans réponse. Chacun d’entre nous doit se coller à la réponse. Celui qui essaye d’y répondre C’est en regardant le Christ qu’il verra la lumière, en écoutant l’esprit de sainteté qu’il entendra la voix de la vie, et c’est face à Dieu en se tenant debout qu’il parlera et qu’il pourra s’engager de tout son être avec tout ce qu’il est : ombres et lumières.
La vie je suis la vie dit jésus en St Jean. Troisième étape
Je suis la vérité, la vie, le chemin, dans le silence de notre coeur qu’est-ce que cela peut devenir ?
Forgé de tant d’hommes et de femmes traversés par l’épreuve du baptême, cette ancienne église pourra renaître de la croix, elle pourra construire et participer à la vie que les hommes et les femmes cherchent avec tant de maladresse.
Notre espérance passe par La Croix …mais vit de la résurrection, notre espérance passe par la vie donnée et la recherche de la vérité. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons répondre au « Viens, suis moi de Jésus-Christ ».
Amen

Vincent Bocher, sj
Saint-Ferréol, Marseille

Homelie du 3 octobre 2021

La première lecture, tirée du livre de la genèse (Gn 2, 18-24) est un extrait du deuxième récit de la création. Le premier chapitre de la genèse, cosmo-centré, nous racontait dans un poème magistral, comment Dieu a créé l’univers et la terre en 7 jours. Et pour chaque jour Dieu clame son admiration ! Quelle belle vision poétique, positive, du monde et de l’humanité ! Les récits de création n’ont, cela dit en passant, aucune prétention scientifique, mais ils recherchent ce qui était au commencement, littéralement “dans la tête de Dieu“, ils nous racontent le “projet“ de Dieu. La visée est théologique et spirituelle. Le deuxième récit, au chapitre 2, est paradoxalement bien antérieur au 1er. D’après les exégètes, il serait même très ancien et pourrait dater en bonne partie de l’époque du roi Salomon, au 10è siècle avant notre ère. On y voit Dieu artisan qui, tel un potier, modèle l’humain. Il ne s’agit pas de l’homme sexué, le mâle, mais bien de l’humain, en hébreu “Adam“ : celui qui est tiré de l’humus, de la terre, de l’argile, qui se dit en hébreu “adamah“. Le récit traite donc de l’humain, de l’humanité en général et pas d’un individu particulier qui s’appellerait Adam ! Et voici que l’humain, l’Adam éprouve la solitude. Alors Dieu tire de la terre (“adamah“) des animaux terrestres, mais aussi des oiseaux qu’il façonne. Il les amène à l’humain pour qu’il les nomme, comme nous aussi nous apprenons à nommer dès tout petits, les animaux et les fleurs. Et n’est-ce pas une grande joie pour des parents, des grands-parents que de faire exister pour leurs enfants et petits-enfants les êtres vivants dans le champ sémantique qui élargira leurs horizons et les positionnera comme humains au milieu, ou à vrai dire au sommet de la création ? Mais l’émerveillement laisse place chez l’Adam à la solitude éprouvée de manière encore plus forte, car il n’a pas trouvé parmi les animaux qu’il a nommés, une aide qui lui est assortie. Et nous pouvons penser à tous ces jeunes, surtout en cette période de crise sanitaire et de confinements multiples, à tous ces jeunes et parfois même moins jeunes, qui ne trouvent pas de partenaires, pas de conjoint… Certes, les animaux de compagnie peuvent s’avérer utiles et même très précieux quand on vit seul, mais ce n’est pas la même chose qu’un conjoint ! Alors Dieu plonge l’humain littéralement “dans une torpeur“. Cette image préfigure une action extrêmement puissante de Dieu qui dépassera complètement l’entendement humain. Il prend littéralement un flanc, donc un côté bien plus qu’une côte, d’Adam. Un côté, ne seraitce pas peut-être même une moitié ? Peu importe, car voici la première mention d’un être sexué et ce n’est pas l’homme, le mâle, mais bien la femme ishsha qui apparaît en premier. Même si certains archéologues bibliques voient dans ce récit un reliquat de tradition patriarcale, le message est bien celui d’une complémentarité homme/femme, deux êtres sexués, c’est-à-dire littéralement séparés, coupés (du latin “secare“), incomplets, éprouvant la solitude et le besoin l’un de l’autre. L’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et ils ne formeront plus qu’une seule chair, littéralement une seule révélation.

Dans le texte d’Évangile que nous venons d’entendre, nous voyons des pharisiens qui veulent éprouver Jésus en lui demandant s’il est permis de répudier sa femme. Et Jésus les renvoie à la loi de Moïse, à leur loi. Or la loi de Moïse en question ne parle pas de répudiation si ce n’est dans un seul passage (Dt 24, 1-4). Or dans ce passage, le deutéronomiste ne fait que constater que la répudiation existe. Le texte donne une instruction sur le cas où une femme divorcée et remariée voudrait retourner vers son premier mari. En fait, il semble bien plutôt que l’acte de répudiation tel qu’il est cité par les pharisiens soit plutôt un acte légal d’origine romaine comble de l’ironie pur un pharisien ! Il s’agit en quelque sorte d’un acte de divorce civil établi devant des tribunaux, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Sauf qu’à l’époque le mari pouvait répudier sa femme, mais pas l’inverse. Pour répondre aux pharisiens, Jésus retourne aux sources, au projet de Dieu, à ce fameux verset 27 du 1er chapitre du premier livre de la bible : “Dieu créa l’humain à son image, à son image il le créa, homme et femme il les créa“. Ce verset est cité dans toutes les préparations au mariage dont il donne le sens profond du sacrement : dans l’amour réciproque d’un homme et d’une femme, Dieu reconnait son amour pour son peuple, pour l’humanité, pour chacun d’entre nous. C’est merveilleux et cela devrait nous inviter à prier tous les jours pour les couples, afin qu’ils grandissent dans la belle promesse qu’ils se sont faite et que le Seigneur accompagne et bénit. Quant à la répudiation, Jésus met l’homme et la femme sur pied d’égalité stricte, ce qui est je pense inédit, inouï pour l’époque : dans les deux cas il s’agit d’un adultère. Et voilà les pharisiens renvoyés à leurs études ! La suite de l’Évangile nous parle d’accueillir Dieu comme un enfant. Il n’a pas de rapport direct avec le récit précédent.

Mais il me donne l’occasion de communiquer à ceux qui ne le sauraient pas encore que mardi prochain, dans deux jours, sera officiellement et publiquement remis à la conférence épiscopale française par le professeur Sauvé le rapport de la CIASE (Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église), fruit de deux ans de travail minutieux. Il s’agit d’un rapport sans concession, terrible puisqu’on y parle de 200000 cas d’agressions sexuelles commises par des prêtres, religieux et religieuses ces 70 dernières années en France. Comment peut-on abuser de ce qu’il y a de plus beau et de plus innocent dans un enfant : cet élan d’amour qui le porte vers Dieu dont il est par excellence le visage ? Comment peut-on à ce point instrumentaliser Dieu à ses propres fins perverses de pouvoir et de jouissance ? C’est proprement inhumain ! Peut-on imaginer des actes qui défigureraient plus le visage de Dieu ? Nous prions et prierons pour les victimes de pareilles agressions, que leurs auteurs soient engagés dans l’Église ou non d’ailleurs et nous encourageons et encouragerons celles qui se taisent à oser une parole qui les libérera !

Vincent Klein, sj