St Ferréol, 30 novembre
Pierre de Charentenay
Comme on le sait, les abus sexuels se déroulent le plus souvent dans le cadre familial. Et les abus dans l’Eglise sont une minorité mais ils sont très lourds de sens et de destruction car ils se déroulent dans un cadre qui devrait au contraire protéger l’enfant et qui fait référence au plus élevé dans l’homme, le spirituel. Ceux qui devaient défendre et protéger la vie donne au contraire la mort. C’est le commandement « Tu ne tueras pas qui est » bafoué. A Garapon parle « d’empêchement d’être ». C’est donc une affaire très grave où la vie des victimes est en jeu.
Si on parle autant de ces sujets c’est
que la contradiction entre l’Evangile et ces actes a quelque chose de très
pervers. Cela n’empêche pas la majorité des prêtres d’avoir une conduite
exemplaire. Mais le petit nombre de déviants jette un voile sur l’ensemble.
Pour traiter de toutes ces questions, je voudrais faire un rapide développement
sur quelques points concernant le phénomène de la pédocriminalité dans l’Eglise
(parce que c’est à ceux-la que veut répondre la Ciase et qui sont discutés
aujourd’hui), puis j’en viendrai au rapport de la Ciase et aux réactions au
rapports.
- Bref retour sur la pédocriminalité dans l’Eglise
- Des schémas
similaires
Partout on retrouve un schéma similaire : la protestation des victimes et
la volonté de se faire reconnaître. Il faut souligner ici le courage des
victimes qui sont rejetée, manipulée pour les contraindre au silence.
C’est ensuite le silence de la hiérarchie et l’évitement des questions. Au
mieux, elle fait la sourde oreille et écoute sans rien faire.
Ces deux séquences sont suivies souvent d’un événement médiatique majeur,
soit un cas très grave d’abus comme celui de l’évêque de Bruges, soit un film
comme Kler en Pologne, qui est dévastateur pour le clergé polonais. Soit la
constitution d’une association comme La
Parole libérée à Lyon.
Cet événement a rendu public ces abus et force l’épiscopat à entendre les
victimes. C’est le début d’un processus. Il est souvent très lent, avec beaucoup
de résistance, beaucoup de refus d’entendre de la part de l’institution.
Comment est-ce possible ? Parce que l’institution veut se protéger et
que les victimes sont ignorées. C’est la même dynamique qu’on retrouve tout le
temps Elle se vit encore aujourd’hui comme nous le verrons avec les réactions
contre le rapport Sauvé.
- Un système qui
conditionne ces actes.
Pourquoi cette
répétition dans tant de pays, et que la Ciase va également soulever ?
C’est que des conditionnements se répètent et forment un système.
- D’abord
l’absence de la culture du droit : les règles existent, mais elles ne sont
pas appliquées.
Des procédures existent pour les nominations d’évêques. Elles ne sont pas
appliquées. Les faits objectifs montrés dans des rapports, énoncés par des
victimes ne sont pas pris en compte.
On constate que le droit canonique n’est pas appliqué. Il faut donc resserrer
le droit canonique sur des nombreux points notamment les conséquences pénales
des actes d’abus.
- Nous sommes devant
une culture théologique qui s’est constitué progressivement et qui met en
condition des personnes qui peuvent devenir des abuseurs.
C’est d’abord le cléricalisme, avec une théologie verticale, centrée sur la
figure du prêtre et une théologie du sacerdoce, alter Christi, qui fait du
prêtre une personne sacrée que l’on ne peut pas soupçonner.
Le rôle du charisme, qui n’est pas mis en question, parce que il draine de
nombreux jeunes et que l’on ne veut pas poser de questions. Il est très mal vu
d’être un lanceur d’alerte dans l’Eglise. On les écarte, on les fait taire.
L’homme charismatique rend lui-même impossible sa propre remise en question.
Enfin, un phénomène que l’on découvre, celui de l’emprise, la capacité
qu’ont certaines personnes de mettre leur interlocuteur en situation de
dépendance. C’est difficile à détecter, comme les phénomènes sectaires.
Tout cela forme un système qui a un impact sur les individus et qui peut
les mener aux abus de pouvoir et in fine aux abus sexuels.
- L’attitude
défaillante de l’Eglise
L’action de l’Eglise a évolué selon les périodes. La commission Sauvé a
donné une périodisation pour la France qui recoupe celle que l’on observe aux
États-Unis et dans d’autres pays.
De 1950 à 1970, l’Eglise cherchait
essentiellement à « sauver » les agresseurs et dans tout son possible
à obtenir des victimes le silence. La moitié des abus sont commis dans cette
période.
De 1970 à 1990, l’Eglise a poursuivi ces mêmes politiques mais elle a été
préoccupée par des problèmes internes liés à la question du sacerdoce et la
gestion des clercs « à problèmes ».
À partir de 1990, elle commence à prendre en compte l’existence des
personnes victimes. Aux États-Unis les mesures ont été assez rapides puisque la
grande assemblée de Dallas en 2002 a pris des mesures très sévères à partir des
informations qu’elle recevait.
En France, tout sera plus tardif. La reconnaissance du statut de victime
n’émerge que dans les années 2010 avec l’injonction du signalement à la
justice. Il faut attendre 2016 pour avoir une vraie politique cohérente
d’accueil et de soutien des victimes. Mais tout cela a été très lent.
- Le rapport de la Ciase.
La France ne prend l’initiative d’une Commission indépendante que très
tardivement par rapport aux pays anglo-saxons.
Le 5 novembre 2018, Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des
évêques de France (CEF), et Sr Véronique Margron, présidente de la Conférence
des religieux et religieuses de France (CORREF) donnaient une lettre de mission
à Jean-Marc Sauvé, lui demandant de constituer une Commission indépendante sur
les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE), devenue la Commission Sauvé. Celui-ci
rendait son rapport le 5 octobre 2021, après presque 3 ans de travail.
- Constitution et
méthode de la Commission
Le président Jean-Marc Sauvé a beaucoup consulté de
spécialistes parmi les meilleurs dans tous les domaines que concernent les abus
sexuels : il a finalement rassemblé une commission de 21 membres, tous
bénévoles comme lui-même. Elle était constituée de psychiatre, de médecin, de
juriste, de magistrat, de spécialiste de l’enfance, de sociologue, d’historien,
de théologien, etc. Cette diversité de compétence donne une très grande
crédibilité aux conclusions du rapport. Pour assurer une rigueur sans biais dans
le travail, la commission ne comprenait ni ecclésiastique ni personne victime.
La méthode de travail a été animée par la conviction que ce sont les
victimes qui détiennent le savoir unique qu’il faut entendre, comprendre et
traduire. C’est fondamental. Elle a consisté en des auditions et des entretiens
conduits par les membres de la commission elle-même, qui se sont déroulés à
Paris et en province.
Un appel à témoignage a été lancé en juin 2019 et a permis de nouer 6 471
contacts, et d’aboutir à 1 628 questionnaires complétés.
En plus de ce travail, trois études ont été commandées à des institutions
professionnelles : d’abord une enquête en population générale a été menée en
ligne, par l’Inserm, de novembre 2020 à janvier 2021, auprès d’un échantillon
par quota de 28 000 personnes âgées de plus de 18 ans. Un deuxième élément
réalisé par l’Ecole pratique des hautes études fut une recherche d’archives
socio-historiques. Elle est partie des archives de 31 diocèses et de 15
instituts religieux. Elle a été complétée par les archives de divers ministères
et de la gendarmerie. Une troisième étude, socio-anthropologique, a été menée
par la Maison des sciences de l’homme pour analyser les témoignages des
personnes victimes, et les multiples courriers envoyés à la CIASE.
À partir de ces compétences et de ces données, la commission a rédigé un
rapport de 500 pages, constitué de trois parties, d’abord le constat des
données, ensuite un diagnostic de ces réalités selon le contexte de chaque
époque, enfin des pistes de traitement de ces phénomènes de violence sexuelle
dans l’Eglise.
Le rapport complet commence par donner la parole aux victimes sur une
quinzaine de pages. Cette partie et son positionnement au début de ce
volumineux rapport de 500 pages sont capitaux. Il importe de mesurer la profondeur
des traumatismes vécus par les victimes, la destruction dont elles ont été
l’objet. Il ne suffit pas en effet de donner des statistiques, et d’examiner ce
que l’Eglise a fait ou pas. Les victimes sont le sujet du rapport et devraient
être le sujet de la préoccupation de ses lecteurs. Gardons cela en tête.
- Quelques
chiffres du rapport
Numériquement, les chiffres donnés par ce rapport sont considérables. 216
000 victimes mineures ont été agressées sur 70 ans, entre 1950 et 2020, par des
prêtres, diacres, religieux ou religieuses. Si on élargit cette analyse à
l’ensemble des personnes en lien avec l’Eglise, on aboutit à un chiffre de 330 000
victimes. Ce sont des estimations, des projections mais faites par des
instituts professionnels de réputation internationale.
La différence considérable entre ces chiffres et les projections faites par
Jean-Marc Sauvé quelque mois auparavant, autour de 10 000 victimes,
s’explique par l’enquête en population générale qui a pu recevoir une masse
d’informations que les appels à témoignage ne pouvaient pas donner, étant donné
la réticence des victimes à se signaler volontairement. C’est pour cela que les
victimes commencent à parler. Parce que cela devient audible.
Il est important de situer ces conclusions dans le cadre des violences
sexuelles constatées dans la société française. Ce sont environ 5,5 millions de
personnes qui ont subi de telles violences pendant leur minorité. Les violences
commises par les clercs représentent un peu moins de 4 % de ce total. Avec les
laïcs, ce chiffre monte à 6%.
Un regard plus précis sur les sphères de
socialisation montre que l’Eglise est le milieu où la prévalence des violences
sexuelles est la plus élevée (1,16% des personnes). Elle est de 0,36 % dans les
colonies de vacances, 0,34 % dans l’école publique, 0,28 % dans les clubs de
sport.
Il est plus compliqué d’estimer le nombre de
clercs agresseurs pendant cette période. Les recherches permettent d’estimer
entre 2 900 et 3 200 le nombre des agresseurs, ce qui est un ratio de 3% de
l’effectif total des clercs jusqu’à nos jours (115 000), une estimation qui
apparaît minimal en comparaison avec les autres pays. La réalité est
probablement bien supérieure.
La Commission Sauvé examine aussi les moyens que l’Eglise de France a pris
pour lutter contre la pédophilie. Elle note une grande diversité d’action selon
les diocèses et les instituts religieux, mais elle souligne l’insuffisance,
souvent tardive, des réactions aux événements. Le signalement, obligatoire dès
novembre 2000, a été appliqué de manière très diverse selon les lieux.
Si des cellules d’accueil et d’écoute des personnes victimes ont été mises
en place dans la majorité des diocèses, elles l’ont été en ordre dispersé et
sans réelle fondation.
- Quarante-cinq
recommandations
Après ce constat, la commission a souhaité faire un certain nombre de propositions
pour réparer ces événements du passé et pour prévenir leur répétition. C’est ce
que la CEF lui avait demandé. Elle les a présentées sous forme de 45
recommandations.
Il faut d’abord reconnaître les responsabilités de l’Eglise (n°23 à 26). Il
ne peut pas y avoir de cheminement avec les personnes victimes sans passer par
cette étape de la reconnaissance de la responsabilité, à la fois individuelle
et systémique. L’Eglise n’a pas su capter les signaux lancés par les victimes.
Il faut ensuite réparer, et d’abord reconnaître la qualité de victime aux
personnes abusées. Il faut indemniser. L’indemnisation n’est pas attachée à la
qualité d’un fait, mais aux effets du préjudice. Elle n’est pas un don mais un
du, et ne devrait pas être issue de contributions des fidèles.
L’Eglise devra ensuite consolider ce qui a déjà été entrepris (n° 44 à 45).
Il faut poursuivre les efforts de sensibilisation, de prévention et
d’information. Il faut prolonger les efforts déjà engagés dans la sélection et
l’accompagnement des séminaristes.
La commission insiste sur une révision de la théologie du sacerdoce qui
fait du prêtre un être à part, quasiment sacralisé. Elle souhaite que l’on
porte attention aux dangers de la concentration du pouvoir. Elle n’hésite pas à
remettre en cause une conception de la gouvernance de l’Eglise trop éloignée du
pluralisme pour inviter à davantage de synodalité et de délibération collective.
De nombreuses recommandations (n° 15 à 22) évoque la question de l’accueil
et de l’écoute des personnes victimes. Elle propose la constitution de comités
d’accueil inter-diocésains, pour rassembler les compétences nécessaires. Elle
insiste sur le caractère professionnel de cette activité d’accueil qui ne peut
pas être laissée à de simples bonnes volontés. Dans la même ligne, une
recommandation insiste fortement pour que les membres de ces comités soient
tous des laïcs.
Les questions de droit canonique font l’objet de sept recommandations (n°
37 à 43), C’est un point important du dispositif, on a trop négligé le droit.
Conclusions sur ce rapport
Je ferai une conclusion en trois remarques :
– On peut d’abord affirmer sans crainte que le rapport publié par la commission Sauvé marque un avant et un après dans l’Eglise de France. Longtemps, l’opinion est restée dans le flou sur les chiffres et les raisons de ces crimes, sous-estimant leur étendue dans la population. Ces révélations sont redoutables, mais salutaires.
– Il faut remarquer ensuite que le rapport Sauvé est probablement le meilleur, le plus fouillé et le plus crédible de tous ceux qui ont déjà été publiés dans l’Eglise universelle. La majorité des autres rapports, sauf celui des Pays-Bas, se sont contenté de recherches d’archives et d’appels à témoignage limitant considérablement leur résultat. La Commission Sauvé s’est assuré en outre de la collaboration de divers instituts de sciences humaines, renommés pour leur sérieux et leur compétence. Sa liberté d’action, la réputation de son président et le parti pris d’écouter d’abord les personnes victimes ont permis un travail qui fera date dans la manière dont l’Eglise affronte son passé récent.
– La vraie révolution du rapport Sauvé est de mettre les victimes au centre des préoccupations de l’Eglise. Celle-ci ne peut plus penser d’abord en termes de sa protection. Elle doit reconnaître sa responsabilité, et faire tout pour tenter de réparer les crimes passés. Et ce n’est pas simplement une question d’argent. Elle doit montrer que sa prise de conscience est réelle. Les mots de honte et de culpabilités, même répétés, ne sont pas suffisants.
III. Les suites du rapport Sauvé
- L’Assemblé
plénière des évêques du début novembre 2021
Après ce rapport Sauvé, la balle est dans le camp de l’Eglise,
Jean-Marc Sauvé l’a dit clairement. Il n’y a pas de comité de suivi de la
commission. C’est à l’Eglise à prendre maintenant ses responsabilités. Elle en
a eu l’occasion au cours de son Assemblée plénière de début novembre.
Avant l’Assemblée plénière de l’épiscopat du début novembre, une petite
inquiétude est apparue sur les réactions des évêques. Ce fut le silence complet
pendant plusieurs semaines et certains étaient inquiets de savoir ce qui allait
se passer.
Finalement cette assemblée a répondu au défi qui lui était lancé. Elle a
vraiment lu le rapport Sauvé dans l’esprit où il avait été écrit, c’est-à-dire
mettre les victimes au centre de leurs préoccupations et non pas l’institution.
Les résolutions votées le 8 novembre témoignent d’un long parcours accompli
depuis six mois.
Trois affirmations donnent le ton de l’ensemble de ces résolutions :
- reconnaître
la responsabilité institutionnelle de l’Eglise. Cette reconnaissance manifeste
une évolution considérable puisque pendant longtemps l’Eglise a considéré que
les abus sexuels était le fait de déviances individuelles où l’institution
n’était pas engagée
- reconnaître
la dimension systémique de ces violences. Les évêques reconnaissent qu’il
existe un contexte global, des pratiques de gouvernement qui ont permis que ces
actes se perpétuent et ne soient pas dénoncés.
- Reconnaître
que cette responsabilité entraîne un devoir de justice et de réparation.
Conséquence des points précédents, la réparation doit venir de l’église.
Ces trois affirmations
montrent un cheminement considérable accompli depuis la précédente assemblée. Elles
sont capitales. Elles vont produire un certain nombre de mesures. J’en cite
trois :
- La création
d’une instance nationale de reconnaissance et de réparation. Il faut
reconnaître aux victimes leur statut de victime et entrer dans un processus de
réparation. Cette instance sera dirigée par Marie Derain de Vaucresson.
- Les évêques
s’engagent à alimenter un fonds pour indemniser les personnes victimes, sans
prendre sur le Denier du culte.
- Dans l’esprit
de synodalité, de travail avec toutes les composantes de l’Eglise, les évêques
constituent neuf groupes de travail, pour approfondir les sujets soulevés par
les recommandations du rapport Sauvé.
À cela s’ajoute une dizaine de mesures particulières
– Vérification des antécédents judiciaires de tout agent pastoral
– Référentiel national de mesures de prévention dans les institutions de l’Eglise
– Signature d’un protocole entre les diocèses et les parquets.
– Ils décident aussi d’ériger un tribunal pénal canonique national
Vous trouvez facilement l’ensemble de ces conclusions sur le site de la CEF.
La CEF a fait un énorme travail, un défi pour le futur.
- Les critiques du Rapport Sauvé
Il y a eu assez rapidement des critiques du rapport. Mais elles étaient à bas bruit, limitées à des sites Internet opposés à l’Eglise.*
Mais il y a trois jours le 27 novembre dernier, est apparue une critique plus élaborée, plus formelle de la part de huit membres de l’Académie catholique.
Cette académie, fondée en 2008, qui n’a aucun caractère officiel, est une sorte de réplique du CCIF, Centre catholique des intellectuels français qui a existé de 1941 à 1977. Quelques membres ont donc étudié le rapport Sauvé et publié une étude, d’une vingtaine de pages, très critique sur ce rapport.
Ce texte de l’Académie catholique s’attache au début à une critique des chiffres, notamment le chiffre de 330 000 victimes. L’argumentation est assez technique et l’on se trouve devant deux expertises différentes, l’une dont on ne sait pas l’origine, l’autre qui est réalisée par l’Inserm et l’IFOP, deux instituts de grande renommée. Le jugement de l’Académie catholique est direct : « la rigueur scientifique n’a pas présidé à ses travaux » p. 2. Elle veut décrédibiliser le rapport Sauvé.
La Ciase, selon l’Académie catholique, développe le discours
« systémique » et dénonce des propositions qui visent à « mettre à
bas l’Eglise institution ».
« L’esprit qui
préside à l’analyse de la Ciase semble idéologique » p. 3. On ne peut pas
réformer l’Eglise de l’extérieur. L’Académie catholique dénonce dans ce rapport
Sauvé une incompréhension, voire une hostilité contre l’Eglise.
Selon l’Académie catholique, le rapport Sauvé remet en cause l’exercice
ministériel sacerdotal et épiscopal. La Ciase est accusée d’un parti pris
permanent visant à dévaloriser la théologie du célibat.
Cette partie sur la théologie se conclut par le jugement suivant :
« ecclésiologie imparfaite, exégèse faible, théologie morale
périmée ».
Ce texte de l’Académie catholique discute ensuite de la responsabilité
civile de l’Eglise. L’Eglise ne peut pas être tenue institutionnellement
responsable. L’Eglise comme telle, qui n’est pas une entité juridique, ne peut
pas avoir de patrimoine. En résumé, la responsabilité civile de l’Eglise
n’existe pas. Si la Ciase en parle, c’est parce qu’elle a l’idée d’un système,
où tout se tient.
La Ciase est accusée d’envisager de reconnaître la responsabilité de
l’Eglise pour l’ensemble de la période analysée, c’est-à-dire depuis 1950, ce
qui nierait la prescription. Mais la Ciase dépasse la prescription parce que
les blessures des victimes ne s’arrêtent pas à une date déterminée.
Le financement des réparations est selon l’Académie impossible parce que
l’Eglise n’est pas une entité juridique. (On utilise le droit ici pour éviter
que l’Eglise ne soit engagée financièrement).
L’Académie dévalue également le rôle de l’Institut prévu pour la reconnaissance
des victimes. Elle soupçonne le témoignage même des victimes.
L’Académie catholique conclut son texte :
-Elle écrit que la Ciase a sous-estimé tout ce que l’Eglise a déjà fait.
– Elle dénonce des recommandations qui sont discutables.
– Quand elles touchent les finances, « certaines recommandations pourraient s’avérer ruineuses pour l’Eglise » p. 10
– Il pourrait aussi y avoir de fausses victimes.
– La Ciase est accusée de « remettre en cause la nature spirituelle et sacrée de l’Eglise catholique ».
Commentaires
On peut discuter de la
méthode et des conclusions de la Ciase. Jean Marc Sauvé l’a rappelé. Mais l’Académie
catholique ne cherchent pas à comprendre la logique du rapport Sauvé.
Même s’il y a quelques
paragraphes sur les victimes au début comme à la fin du rapport, ces pages de
l’Académie consistent à prendre le point de vue de l’Eglise institution pour
dénigrer les analyses qui sont faites et par là rejeter les mises en cause.
L’Académie catholique n’a pas compris que le rapport de la Ciase était orientée
par la volonté d’écoute des victimes et non par la défense de l’institution
Eglise.
On s’interroge sur les
motifs qui ont présidé à une telle publication : est-ce pour que l’Eglise
échappe à des indemnisations douloureuses ou pour éviter des réformes
profondes ? La première victime c’est la CEF, qui est totalement
contredite, et la deuxième ce sont toutes les victimes des abus. Mgr de Moulins
Beaufort a très bien répondu dans la Croix du 30 novembre : c’est en
écoutant les victimes que nous avons avancé. Le mal a été redoublé par
l’incapacité de l’institution d’y prêter attention.
Je conclue ce panorama sur l’actualité de la Ciase.
Le rapport de la Ciase a été clairement une
énorme avancée dans la prise de conscience de la responsabilité de tous les
membres de l’Eglise devant de fléau des abus sexuels. Je dis « tous les
membres », car les laïcs qui n’ont rien dit et qui ont entretenu ce
système sont aussi coupables que les prêtres ou les évêques qui ont défendu ce
système.
Quant au débat sur le rapport Sauvé, il manifeste des divisions profondes dans
l’Eglise, des résistances de membres de l’institution à voir ce qui s’est
passé, avec la volonté de contester les conclusions de l’Assemblée des évêques.
Espérons que finalement la force de l’Evangile et l’attention aux plus petits et aux blessés l’emportera sur le cynisme institutionnel, qui pense d’abord aux dangers de cette affaire pour l’Eglise plus qu’aux blessures vives des victimes..
Pierre de Charentenay sj
30 novembre 2021
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