Homélie du 13 novembre

Vivre dans l’entre-deux
Luc 21, 5-19


A lire ces lectures, nous sommes entre deux temps : la fin des temps imminente, attention, c’est tout proche et la fin des temps lointaine, c’est le temps du jugement dont on ne sait pas quand il aura lieu.
La fin des temps imminente : l’Epitre aux Thessaloniciens nous montre des croyants qui ne veulent plus rien faire parce que la fin des temps est toute proche. Inutile de faire quoi que ce soit puisque de toute façon tout cela va se terminer dans la gloire. St Paul leur rappelle un peu abruptement que si vous ne faites rien vous ne mangerez pas ; ce qui veut dire que la fin des temps n’est pas encore pour tout de suite et qu’il faut encore travailler.
Par ailleurs, l’Evangile nous parle de la fin des temps lointaine, celle du jugement dernier. Si c’est le jugement, c’est aussi la révélation du salut et le retour du Christ. Le monde est transfiguré. Les disciples croient le voir dans le Temple, avec ses belles pierres et ses ex-voto décrits au début de l’Evangile. C’est comme si c’était déjà le lieu du salut. C’est aussi la vision du prophète Malachie qui nous annonce que le Soleil de Justice se lèvera pour apporter « la guérison dans son rayonnement ».
Ainsi, nous avons deux moments, celui de la fin perçue imminente, et celui du jugement qui attendra la fin des temps.
Entre ces deux moments, nous avons à vivre une période très compliquée, pleine de violences et de persécutions qui sont décrites dans l’Evangile.
Nous ne savons pas très bien quoi faire. On se trouve dans une période très floue, très brumeuse, très indéterminée.
Il y a des moments et des lieux comme cela, où l’on est perdu. Si vous vous promenez un matin d’hiver le long d’un grand fleuve, vous verrez du brouillard, une brume qui monte de l’eau et que le soleil n’a pas encore éclairé. Il est bien là le soleil, mais il n’a pas percé cette masse de brouillard. Vous ne savez plus où vous êtes, même si vous savez que le fleuve est à côté.
C’est un peu notre situation, entre deux, entre une fin des temps imminente et une fin des temps renvoyé à l’infini. Comment vivre en chrétien dans cet entre-deux ?
Le chrétien doit trouver sa voie : il doit se porter vers ce monde en attente d’achèvement, y scruter les germes de ce qui commence à pousser et les faire fructifier. A nous de travailler dans ce monde pour le conduire à Dieu. A nous de vivre ce combat du discernement pour le reconnaître à l’oeuvre. Demandons qu’il nous éclaire, qu’il nous travaille de l’intérieur, pour que nous travaillions pour lui.
Les conditions sont difficiles, l’Evangile les décrit de façon dramatique. Des tremblements de terre, des violences multiples, des jugements. Nous ne manquons pas d’événements qui ressemblent à cela : à l’extérieur, la guerre en Ukraine, et dans nos frontières, cette incroyable succession de révélations d’abus de la part d’évêques français.
C’est la réalité de notre monde, nous le savons bien. Nous ne pouvons pas rester passif, à attendre. St Paul rappelle que chacun doit travailler pour gagner son pain, image de la présence du croyant dans le monde concret. Il ne peut pas simplement attendre. C’est dans la persévérance qu’il obtiendra la vie.
Nous sommes dans cet entre-deux de l’obscurité, ou de la brume où le soleil ne s’est pas encore levé. On sait que Dieu est là et que le salut est derrière la brume. La prophétie de Malachie tient toujours, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. Accueillons-le.

Pierre de Charentenay, sj
St-Ferréol, le 13 novembre 2022

Homélie du 9 octobre

Le lépreux samaritain
Lc 17, 11-19

Dix lépreux, un seul revient pour manifester sa gratitude. Et pourtant les 9 autres avaient toutes les raisons pour rendre grâce. La lèpre était un fléau qui excluait les malades de la société. Ils étaient enfermés dans des endroits impossibles, d’où ils ne pouvaient pas sortir.
Revenir vers Jésus pour exprimer sa gratitude aurait dû être évident pour tous tant la guérison est fabuleuse et inouïe. Eh bien non, un seul revient.
De là deux réflexions :
D’abord sur les 9 ingrats : pour qui se prennent-ils ces 9 grossiers personnages qui estiment que la guérison leur est due, puisque Jésus était capable de la faire ? Les fils d’Israël ne voient rien, ne comprennent rien à l’identité de Jésus. Ceux-là même qui attendent le Messie, sont aveuglés par les pouvoirs de Jésus et ne pensent qu’à eux et à leur guérison.
Deuxième réflexion sur cet unique malade qui revient vers Jésus. Ce retour est bien normal, car la guérison est vraiment extraordinaire. L’homme guéri comprend le don qu’il a reçu. Il glorifie Dieu et vient se prosterner devant Jésus et le remercier.
C’est alors seulement que nous apprenons qu’il s’agit d’un Samaritain. C’est là évidement la pointe du récit.
Pour un Juif, les Samaritains sont des ennemis religieux, ayant fait un autre choix de textes de l’Ecriture, un autre temple, un autre calendrier religieux, d’autres rites. Ce sont des espèces d’hérétiques. Mais c’est lui, qui n’a rien à voir avec le judaïsme, qui revient glorifier Dieu.
On voit un fossé se créer entre l’ingratitude des neuf autres et cet homme reconnaissant, c’est-à-dire entre les juifs et celui dont Jésus parle comme d’un étranger. On se rappelle la parabole du bon Samaritain qui va aider le blessé que les prêtres et les lévites ont abandonné, et combien Jésus manifeste son admiration pour cet étranger charitable.
Mais ce n’est pas seulement le fait d’être étranger qui intéresse Jésus ici, c’est la foi que manifeste cet étranger.
Dans un autre récit, celui du centurion, un romain, Jésus va louer la foi de celui qui sait que Jésus a guéri son fils. « Je n’ai jamais vu une telle foi en Israël ». C’est la foi que Jésus souligne.
Les Evangiles nous disent ainsi à plusieurs reprises que la foi est présente chez des non-juifs, des gens de l’extérieur, des païens.
Jésus ne s’intéresse pas à l’appartenance religieuse ou ethnique de son interlocuteur : il s’intéresse à la foi de celui qu’il rencontre et il la reconnait comme pleine de sens.
Ainsi Jésus récuse une vison ethnocentriste, selon laquelle le salut ne serait donné qu’aux élus de la Bible. La foi en Jésus, quel que soit l’origine du croyant, lui permet d’entrer dans le salut de Dieu. Au lépreux samaritain Jésus dit : ta foi t’a sauvé. Le
samaritain d’hier entre dans le salut de Dieu ; il est en de même pour tous les samaritains d’aujourd’hui.
Vous voyez que cette petite histoire du lépreux samaritain qui revient vers Jésus nous mène très loin. Je cite de nouveau le texte du récit du centurion romain en Matt 8, 11 : « Beaucoup viendront de l’orient et de l’occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob au festin du royaume des Cieux ». Méditons ces paroles et tirons en toutes les conséquences.

St Ferréol, dimanche 9 octobre 2022
Pierre de Charentenay, sj