Le Jeudi saint, nous invitera à découvrir notre vie comme offrande (l’eucharistie) et comme service (le lavement des pieds), à la manière même dont Jésus, Dieu fait homme, Parole faite notre chair, les vit dans son humanité. Dans la Cène, il propose de relire tout son agir, toute sa présence, tout son être, comme la présence de Dieu épousant notre humanité, comme lieux de révélation de la miséricorde, de la liberté, de la justice voulues par le Père pour chacun de ses enfants. Il fait monter l’action de grâce vers le Père, parce qu’il est venu jusque dans notre humanité à travers lui. De sorte que cela ne soit pas que mots et idéaux, il pose un geste, le lavement des pieds, en confiant à chacun de le poursuivre : « C’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi » [Jean 13, 15]. C’est dans notre manière de nous tenir avec lui dans le service que les hommes pourront le découvrir proche.
Pâques, un effondrement: témoignage du P. Vincent Klein sj
Marseille, quartier de la Joliette. En début de semaine dernière, un règlement de compte a fait trois victimes à deux cents mètres à peine de la maison de notre communauté jésuite. Trois jeunes adolescents ont été atteints par des balles : un est décédé, les deux autres sont dans un état grave.
Un règlement de compte sur base de trafic de stupéfiants comme il y a tant à Marseille comme dans bien d’autres grandes villes : circulez, il n’y a rien à voir ! Et en effet, le crime n’avait apparemment pas laissé dans la rue de traces visibles, car dès le lendemain, la vie continuait comme si de rien n’était. En fait, beaucoup d’habitants du quartier, outre ceux qui vivent dans la rue où s’est produit le drame, ne se seront aperçus de rien s’ils n’ont pas écouté le cri d’indignation de notre archevêque lors de la messe chrismale ou s’ils n’ont pas lu les longs articles que des grands quotidiens nationaux ont consacré à cet événement.
Nous entrions en Semaine Sainte. Comment alors ne pas reconnaitre avec tristesse et colère le Christ souffrant et crucifié dans ces jeunes dont l’élan de vie a été ainsi brisé ? A Marseille, il y a tant d’adolescents qui vivent dans des quartiers où le trafic de stupéfiants marque de son empreinte infernale la vie quotidienne. Faut-il pour autant s’y résoudre ?
Nuit de Pâques. Les chants joyeux et les visages radieux des fidèles sur le parvis de l’église donnant sur le Vieux-Port résonnaient encore en moi. Il était minuit passé et nous prenions en verre en communauté avec nos hôtes en trinquant : « Le Christ est ressuscité ! », « Il est vraiment ressuscité ! ». Un bruit d’explosion a piqué la curiosité de certains qui sont allés voir sur la terrasse d’où pouvait provenir la détonation. Aucun autre bruit distinct n’avait suivi. Nous avons vidé nos verres avant d’aller nous coucher.
Dimanche matin, retour sur la terrasse. On apercevait clairement un panache de fumée en direction du sud-est. Entre-temps, les médias avaient annoncé l’effondrement d’un immeuble dans le quartier branché de la Plaine. Un deuxième immeuble avait suivi peu après. Il y avait sûrement des victimes, sans doute une dizaine, mais les secours étaient empêchés d’intervenir, car l’incendie n’était toujours pas éteint.
J’ai alors ressenti en moi aussi comme un effondrement, intérieur celui-là, un peu comme le décès brutal d’un convive mettrait un terme à un banquet de mariage. La fête de Pâques à peine commencée était déjà finie : on remballe tout ! Le cœur est lourd, l’atmosphère est plombée. Retour à la Passion ! J’avais envie de baisser les bras tant le découragement m’habitait.
En méditant les Évangiles de la Résurrection, je me suis alors demandé comment s’étaient senties les femmes quand elles sont allées au tombeau ? Sans doute avaient-elles le cœur grave. Elles sont venues embaumer un mort et se sont demandé qui leur roulera la lourde pierre. Dans le 5è arrondissement de Marseille, des secouristes, courageusement, inlassablement, cherchent aussi à « rouler la pierre du tombeau », à dégager des morceaux de murs à la recherche de morts ou qui sait, de survivants. Des linges apparaissent dans les décombres et ont pu orienter les secours vers des corps. Il y a deux mille ans, à plusieurs milliers de kilomètres au sud-est, des femmes regardaient les linges qui avaient enveloppé le corps mort de Jésus et étaient restés là dans le tombeau vide. Et puis elles entendirent cette parole de l’ange : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? ». Et leur douleur laissa place à la rencontre du Ressuscité. Des ruines du 17, rue Tivoli, plusieurs corps ont déjà été extraits. Malheureusement les victimes sont décédées. Le soir du dimanche de Pâques, avide d’une hypothétique bonne nouvelle qui aurait donné un sens pascal à ce drame, j’ai cherché à écouter une radio locale pour avoir plus de détails sur la recherche de victimes. Mais je suis tombé sur le commentaire en live du match entre l’OM et Lorient, ce qui m’a mis véritablement en colère.
Cependant, à y réfléchir avec un peu de recul, n’est-il pas légitime que la vie reprenne le dessus, inlassablement, avec ses soucis quotidiens et ses distractions aussi ? Pour les familles des victimes viendra le temps du deuil et pour tous ceux qui ont été affectés, l’appel à la foi nue, quand la colère aura tari les larmes. Alors l’espérance brute défiera l’absurde, comme pour Marie au pied de la Croix, recevant dans ses bras le corps sans vie de son Fils, désormais vivant dans l’engagement de tant d’hommes et de femmes pour que la vie soit la plus forte et que jamais, la mort n’ait le dernier mot.
P. Vincent Klein sj,
La photo est du P. Vincent Klein sj
Ile de Pomègues à Marseille : un bunker fissuré évoque le tombeau vide et sinistre. Une femme veille, attend et espère en regardant au loin la mer
Nuit de Pâques
A travers la fenêtre, sans rideau, depuis longtemps je vois une petite étoile me luire.
Je ne dors pas.
Mais entre le Samedi-Saint et Pâques, la nuit n’est pas faite pour dormir !
Les montagnes et les forêts attendent, elles m’entourent dans une émanation lumineuse.
La pleine lune, pas à pas, élève, suspend sa face pieuse…
Le soleil n’est pas levé encore : il y a une heure encore de cette immense solitude !
Il n’y a, pour garder le tombeau, que ces millions d’étoiles en armes,
Vigilantes depuis le pôle jusqu’au Sud !
Et tout à coup, dans le clair de lune, les cloches, en une grappe énorme dans le clocher,
Les cloches au milieu de la nuit, comme d’elles-mêmes, les cloches se sont mises à sonner !
On ne comprend pas ce qu’elles disent, elles parlent toutes à la fois !
Ce qui les empêche de parler, c’est l’amour, la surprise toutes ensemble de la joie !
Ce n’est pas un faible murmure,
Ce n’est pas cette langue au milieu de nous-mêmes suspendue qui commence à remuer !
C’est la cloche vers les quatre horizons chrétienne qui sonne à toute volée !…
Vous qui dormez, ne craignez point, parce que c’est vrai que j’ai vaincu la mort !
J’étais mort, et je suis ressuscité dans mon âme et dans mon corps !
La loi du chaos est vaincue et le Tartare est souffleté !
La terre qui, dans un ouragan de cloches de toutes parts s’ébranle,
Vous apprend que je suis ressuscité !
« Toi, qui es-tu ? » Paul Claudel,