« Quand on s’est mis devant le Christ en croix »

Quand on s’est mis devant le Christ en Croix,
et qu’on se voit pécheur jusqu’au fond de l’être,
Qu’on se sait pardonné par le plus grand amour,
on peut affronter le malheur du monde,
On peut apporter le pardon et l’espoir au cœur de la nuit,
annoncer une Eglise fondée sur Pierre, pécheur et pardonné.

Quand on rêve d’apporter la justice aux affamés,
la joie aux malheureux, la paix entre les ennemis,
Et qu’on a vu Jésus toucher les lépreux,
embrasser les enfants et sécher les larmes des mères,
On peut oser lui demander d’être admis à sa suite,
et de marcher parmi ses disciples.

Quand on a entendu les cris de détresse de la terre,
et qu’on sent germer l’espoir aux quatre vents du monde,
On cherche à rejoindre le cœur de l’univers,
le centre mystérieux de l’humanité
Et l’on va se mettre au service de l’Eglise et du Pape ,
pour mieux entendre ses appels.

Quand on a livré sa vie au Seigneur Jésus,
quand on engage son existence devant une décision de fond ,
On trouvera toujours dans le monde des frères et des sœurs,
des hommes et des femmes sachant pourquoi ils vivent,
Et l’on verra paraître le vrai visage d’un Eglise ,
accueillante et sereine au milieu des hommes.

Quand on est lié par le coeur des frères ,
François-Xavier, Jean de Brébeuf, Pierre Claver,
Et ceux aujourd’hui
dans les prisons de Chine ou les bidonvilles d’Afrique,
On n’a plus peur de rester inutile dans un monde rétréci  :
de tous les horizons, Dieu saura nous appeler.

Poème du P.Jacques Guillet sj.

Homélie du 2ème dimanche de carême


Transfiguration et métamorphose
Matthieu 17, 1-9

Commençons par faire un peu de grammaire, ou plutôt de la traduction. Le texte dit que Jésus est « transfiguré ». Le mot grec c’est métamorphé, la métamorphose. Jésus leur apparaît métamorphosé. Le regard des apôtres sur Jésus a tellement changé qu’ils le voient métamorphosé.
Cette histoire est donc une histoire de changement de regard. Et c’est une belle histoire.
Sur la montagne, c’est le regard des disciples qui change. Pierre, Jacques et Jean posent sur Jésus un regard neuf, et ils découvrent Jésus ressuscité, avec toute la splendeur de la
résurrection, la nuée et l’assurance que le Christ est bien le Fils de Dieu.
On pourrait peut-être en rester là, dit Pierre. On est bien ici, on est loin du monde, il n’y a plus le bruit de la violence. Faisons trois tentes, sortons un sandwich et une petite bouteille, la glacière et un transat. Et on s’installe. On ne bouge plus. C’est la félicité.
La suite de l’Evangile montre que ça ne marche pas comme ça.
Parce qu’en réalité, quand on découvre quelque chose d’aussi fondamental que Jésus ressuscité, vous comprenez que tout est transformé, que le monde est bien différent de ce que vous voyiez auparavant, que Dieu est à l’œuvre en nous-même et dans le monde et qu’il est temps d’écouter ce qu’il nous dit.
Et voilà justement que de la nuée sort cette voix :
« Celui-ci est mon Fils bien aimé, Ecoutez-le. »
Si nous écoutons bien, nous entendons tous ces passages de l’Evangile qui ont précédé cette métamorphose et qui nous disent de renoncer à nous-même et de venir à la suite du Christ.
Etape cruciale, étape nécessaire qui manifeste que nous ne sommes pas simplement des
spectateurs béats d’admiration devant la nuée, comme Pierre qui voulait rester sur place, mais que nous sommes des acteurs dans cette découverte et qu’il faut faire notre part.
C’est pour cela qu’arrivé à ce point, Jésus dit dans l’Evangile : « relevez-vous et soyez sans
crainte ». Ce n’est pas le moment de casser la croûte tranquillement au bord du chemin. Le regard des disciples est transformé, le nôtre aussi. Nous savons ce qu’est la résurrection. Il faut aller de l’avant.
Commençons donc à regarder le monde qui nous entoure avec un nouveau regard, avec une lecture positive de la vie. Nous pouvons découvrir la puissance de notre regard qui envisage la vie autrement que dans la noirceur qui nous entoure. Chaque fois que nous poserons sur les autres un regard lucide, qui ne juge pas, c’est la transfiguration de notre monde qui est en marche. Un regard lucide et aimant, c’est un regard sur la vie qui est plein de lumière.
Commençons à écouter sérieusement la parole de Dieu que nous entendons chaque dimanche, que nous pouvons lire chaque jour. Ouvrons notre cœur aux appels de Jésus ressuscité.
Le carême est un temps de métamorphose, de transfiguration, de vraie conversion. La banalité du quotidien peut ouvrir à des horizons nouveaux si nous changeons de regard. Ouvrons nos yeux et nos oreilles et écoutons ce que Dieu nous dit sur la route de Pâques.

Pierre de Charentenay, sj
St-Ferréol, le dimanche 11 mars 2023

« Il pleut des cendres » Méditation pour le temps de Carême du P. Vincent Klein sj

Il pleut des cendres sur Catane, en Sicile, ville que les pentes incandescentes de l’Etna ont repoussée jusqu’à la mer. La belle a perdu ses couleurs, seuls quelques phares de voiture en transpercent le gris. Une habitante balaie machinalement sa cour sous les flocons qui tombent abondamment pourtant. De De sa manche, elle époussette un miroir et esquisse un sourire alors que sur Catane, il pleut des cendres.

Il pleut des pierres sur Iskenderun, en Turquie, ville où la chrétienté a germé il y a presque deux mille ans. De la cathédrale il ne reste qu’une arche, stoïque mémoire. Plus loin, des hommes hagards, dont la poussière a figé les larmes, regardent abattus le tas de ruines. Et voici qu’une fillette s’avance, légère, sur les gravats. Elle se penche, retire des décombres une peluche qu’elle secoue et serre dans ses bras en triomphant alors que sur Iskenderun, il pleut des pierres .

Il pleut des bombes sur Bachmout, petite ville du Donbass, devenue l’objet improbable de toutes les convoitises. Des cadavres de militaires et de civils qui ont essayé de fuir jonchent le sol un peu plus loin. Trop risqué pour le moment d’aller les enterrer. Au milieu des bâtiments éventrés, un couple âgé a recueilli chez lui un soldat aux abois. Ils partagent ensemble un festin : un verre de lait et deux, trois pommes alors que sur Bachmout, il pleut des bombes.

Il pleut des machettes sur Goma, en République Démocratique du Congo, ville martyre des Grands Lacs. Un peu plus loin, les touristes parcourent les montagnes volcaniques à la recherche de gorilles alors que les habitants sont, une fois encore, jetés sur les routes. A côté des mamans chargées comme des mulets, des enfants courent derrière un cerceau qu’ils font avancer à l’aide d’un bâton en criant gare avec insouciance alors que sur Goma, il pleut des machettes.

Il pleut des pétales d’amandiers dans les rues glacées de Marseille. Le mistral les emporte et les fait tourbillonner. Et voici qu’ils s’accrochent à la couverture d’un homme grelottant retranché pour la nuit dans l’embrasure d’un magasin. Sans pierre où reposer sa tête, il vient d’accueillir près de lui un plus mal loti, un plus grelottant, avec qui il partage un bout de pain et une bouteille de vin, alors que sur Marseille, il pleut des pétales d’amandiers.

Il pleut des larmes de sueur et de sang dans le jardin, de l’autre côté du Cédron. Le sommeil est lourd et la solitude pesante. Seuls les oliviers se tordent de douleur et, compatissants, laissent suinter quelques gouttes d’une huile parfumée. D’ici on aperçoit bien la Ville Sainte d’où se détache, massif, le temple. Un peu plus haut, on distingue une colline nue à la forme de crâne, alors qu’au jardin des Oliviers, il pleut des larmes de sueur et de sang.

Sur une branche nue, une mésange au front marqué de noir chante à tue-tête, en plein hiver, un air de printemps. Elle s’envole et laisse tomber de ses ailes grises un nuage de cendres.

P. Vincent Klein sj 

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