Homélie du 32è dimanche B (10 novembre 2024)

Il y a une vingtaine d’années, je me trouvais dans une gare parisienne. Mon train avait du retard et j’avais du temps pour contempler et m’émerveiller devant l’immense variété des personnes qui passaient : des hommes et des femmes d’affaires, des touristes, des familles, des gens pressés et d’autres moins, ceux qui travaillent à la gare, des gens de toutes origines et conditions sociales. Je remarquais alors une femme âgée.  Elle portait un imperméable usé et sale qui était sans doute beige à l’origine. Elle avait les cheveux gris blancs en bataille et dans sa main, un sac plastique, contenant sans doute tous ses biens. Elle faisait peine avoir. Elle marchait courbée : il était difficile de reconnaître son visage. Elle marchait difficilement, mais d’un pas déterminé. Je l’ai vue alors s’asseoir derrière une pancarte où il était écrit : « A vous de jouer ! ». Je n’avais pas remarqué le piano dans la gare. C’était tout nouveau à l’époque. Et voilà qu’elle joua une mélodie merveilleuse sur le piano, je pense que c’était du Chopin. Ses doigts dansaient avec une agilité et une virtuosité étonnante, à tel point que peu à peu de nombreux passants et voyageurs s’arrêtèrent pour former un cercle autour d’elle.

Désormais, chaque fois que je médite le texte de la pauvre veuve de Sarepta dont parle la première lecture ou bien la veuve aux deux piécettes dont parle l’Évangile que nous venons d’entendre, je pense à cette pianiste anonyme.

Dans la première lecture, le grand et redoutable prophète Elie est envoyé par Dieu dans un village à l’étranger chez une veuve qui vit avec son fils. Il s’apprête à affronter seul 400 prophètes de Baal, ce Dieu païen dont le culte s’était répandu en Israël. Elie va apprendre l’humilité au contact d’une veuve très pauvre, mais dont le sens de l’hospitalité était toujours aussi vif. Elle lui offre ni plus ni moins qu’un pain, ce qui lui reste pour vivre encore un jour avec son fils, car ils sont victimes d’une grave sécheresse. Un pain pour un dernier repas avant de mourir, cela n’annoncerait-il pas un autre dernier repas qui aura lieu 850 ans plus tard ? La confiance en Dieu de cette femme sera largement récompensée, elle n’aura plus de soucis matériels et pourra témoigner de sa foi à travers son humilité généreuse et accueillante. Et Elie pourra à son tour y puiser la confiance dont il aura grandement besoin pour affronter les prophètes de Baal peu après.

Dans l’Évangile, nous voyons Jésus émerveillé par le geste d’une pauvre veuve qui met deux piécettes dans le tronc prévu pour les offrandes dans le temple de Jérusalem. Jésus appelle alors ses disciples pour partager sa joie, sa jubilation. Il remarque cette pauvre femme, qui était passée inaperçue dans la file des donateurs. S’il la remarque c’est peut-être parce qu’il y a entre Jésus et la veuve une rencontre de deux humilités, de deux “pauvres de cœur“ comme le dit la béatitude. D’ailleurs, si nous y réfléchissons bien, les rencontres importantes qui nous ont fait du bien dans notre vie, qui nous ont édifiés sont toujours des rencontres en vérité et en profondeur, des rencontres qui s’enracinent dans le respect, l’humilité, la vulnérabilité. Et d’ailleurs, l’humilité n’est-elle pas la condition de la rencontre et du dialogue authentiques ?

La veuve de Sarepta était une païenne, elle habitait un village qui se situe aujourd’hui au sud du Liban. En extrapolant un peut, on peut y voir l’icône (c’est le mot grec pour dire image !) de toutes ces veuves d’aujourd’hui, épouses ou mères palestiniennes ou libanaises victimes de la guerre. 

La veuve de l’Évangile est, elle, une pauvre et pieuse femme juive. On peut y voir l’archétype de ces femmes et mères de personnes tuées ou prises en otage par le Hamas. La veuve de Sarepta et celle de l’Évangile sont comme le symbole des deux côtés des victimes de la même guerre.

Chers frères et sœurs, nous avons récemment fêté la Toussaint, la fête de tous les saints, les connus et les anonymes. Nous regardons souvent de loin de grands saints que nous considérons comme inaccessibles. Mais pourquoi ne pas lever les yeux et découvrir autour de nous plus largement les saints d’aujourd’hui, ces hommes et ces femmes qui affrontent un quotidien parfois très difficile avec courage et foi ? Plutôt que de nous laisser paralyser par les nouvelles éprouvantes de notre monde, et Dieu sait s’il y en a et si elles sont inquiétantes, à l’image de Jésus et comme nous y invite Saint Ignace, reconnaissons toujours d’abord Dieu à l’œuvre dans notre monde. Chrétiens, à la suite du Christ, nous sommes invités à vivre de cet émerveillement devant la grandeur et la dignité de tant de personnes données aux autres, de tant de pauvres, riches d’un trésor inestimable. Je suis sûr que chacun, chacune ici présent aurait plusieurs belles histoires à raconter de sainteté vécue au quotidien, loin des projecteurs des médias. En les mettant bout à bout, elles formeraient un collier, un chapelet d’actions de grâce.

Alors, oui, cher frères et sœurs, ce ne seront plus seulement nos églises et nos gares qui seront illuminées, mais aussi nos maisons et nos rues, et bien d’autres endroits où se joue l’Évangile.

Homélie du 30ème dimanche Année B (27 octobre 2024)

Jéricho est une des plus anciennes villes du monde ; son existence remonterait à environ 9000 an av. J-Chr. C’est aussi la ville la plus basse du monde puisqu’elle se situe à près de 300m sous le niveau de la mer, à proximité de la mer Morte. Pour monter à Jérusalem, il faut donc parcourir un dénivelé de plus de 1000m, sur une route de montagne sinueuse qui était à un véritable coupe-gorge, comme nous le rappelle la parabole du bon Samaritain.

Jésus se trouvait à Jéricho. Il y avait annoncé une troisième et dernière fois sa passion alors que ses disciples se disputaient les premières places dans le Royaume de Dieu ! Et voilà qu’il sort de la ville, entouré par une foule : apôtres, disciples, petites gens, curieux et sans doute des opposants également. Et là, un mendiant, qui visiblement avait pris ses quartiers à la porte sud de la ville, entend que le bruyant cortège qui s’était formé était dû au passage de Jésus qui se rendait à Jérusalem.

Chose intéressante, ce mendiant a un nom ou du moins, il est nommé d’après son père :Bar-Timée, c’est-à-dire le fils de Timée. Et il interpelle Jésus en reconnaissant sa royauté messianique : “Fils de David, Jésus“. Le fils de Timée reconnaît en Jésus le fils du grand roi David. Notre évangile est une histoire de filiation. Jésus se rend à Jérusalem, ville où le roi David a son tombeau. D’ailleurs le texte qui suit immédiatement notre évangile, au chapitre 11, c’est le récit de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem qui, monté sur un âne, sera acclamé comme roi : “Hosanna (c’est-à-dire : “donne le salut“) ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient. Béni soit le règne qui vient, le règne de David, notre Père“. A Jéricho, Jean et Jacques avaient demandé à Jésus de siéger à sa droite et à sa gauche dans sa gloire. Mais Jésus leur avait répliqué que le Fils de l’homme, un titre messianique qu’il s’est donné à lui-même et qui porte de nouveau sur une question de filiation, le fils de l’homme donc, n’est pas venu pour être servi mais pour servir. Comme les apôtres, Bartimée reconnait la messianité de Jésus, mais sa demande est celle d’un humble mendiant qui cherche simplement à rencontrer personnellement le Christ : “Fils de David, Jésus, aie pitié de moi !“, en grec : “kyrie éleison !“ Le priant, le croyant qui prie, n’est-il pas d’abord et avant tout un mendiant, un mendiant d’amour ou dit autrement, peut-on être croyant, homme ou femme de prière, si on ne se reconnaît pas avant tout indigent, mendiant de la bonté, de la miséricorde divine ? Alors que la foule rabrouait Bartimée pour qu’il se taise, Jésus, lui, s’arrête et le fait appeler.

La foule, obstacle à la rencontre, devient une passerelle, un canal qui conduit vers Jésus avec ces paroles magnifiques : “Confiance, lève-toi, il t’appelle“. Arrêtons-nous maintenant quelques instant si vous le voulez bien et appliquons cette situation à a vie de foi : quand est-ce que dans ma vie la foule, les gens, les “on dit“ ont été un obstacle à la rencontre du Christ ? Comment ai-je fait pour dépasser cet obstacle ? Au contraire, quelles sont les personnes, les groupes qui m’ont aidé, qui ont été des guides pour que je puisse rencontrer le Christ : “Confiance, lève-toi, il t’appelle“. Et de mon côté, ai-je été un obstacle pour que des personnes rencontrent le Christ ? Ou bien au contraire, j’ai pu être une aide pour mon prochain, un canal de sa grâce pour d’autres ?

Revenons au texte. Voilà que Bartimée “rejetant son manteau, se leva et courut vers Jésus“. Le manteau qu’il rejette, c’est ce qui littéralement lui collait à la peau : on ne se séparait pas de son manteau, surtout si on vivait à la rue. Ce manteau symbolise donc pour l’aveugle son histoire de galère, son passé de souffrances de pleurs et de sueur. Bartimée, nous dit le texte, le rejette pour se lever enfin et courir vers la source de vie. Plus tard sans doute quand, guéri, il relira sa vie, il jettera avec d’autres son manteau sur la route au passage de Jésus qui entrera triomphalement à Jérusalem. Alors, plutôt que de rejeter en bloc son passé, réconcilié avec son histoire grâce à la rencontre avec le Christ, il l’offrira à Celui qui est devenu le sens de sa vie, le roi de gloire. Mais c’est pour plus tard. Dieu est patient.

Le dialogue entre le fils de l’homme, fils de David, et le fils de Timée, est très sobre :

  • Que veux-tu que je fasse pour toi ?
  • Rabbouni, que je retrouve la vue.
  • Va, ta foi t’a sauvé.

Pas un geste, pas une parole de guérison de la part de Jésus, mais on devine très bien l’émerveillement simplement évangélique du Christ devant la foi, le courage et la persévérance de ce mendiant aveugle qui se lève, se détache des entraves de son histoire, traverse la foule en courant et se tient devant Jésus : il retrouve sa dignité de fils de Dieu, il sort des ténèbres et voit Jésus qu’il va suivre désormais : “Va ! Ta foi t’a sauvé“. Nous sommes aux antipodes d’une guérison magico-miraculeuse. Le regard plein d’amour et d’admiration du Christ et ses mots suffisent pour remettre debout et rendre la vue.

Oui, chers frères et sœurs, la rencontre du Christ que nous désirons du plus profond de notre cœur, nous relève, nous permet de changer de vie et d’y voir clair, comme à la sortie d’un long tunnel : le paysage a changé, la vie retrouve toute sa saveur. Oui, le monde est entre les mains de Dieu, n’ayons pas peur de nous lever, de rejeter le manteau de nos doutes et de nos résignations et suivons Jésus sur le chemin. Nous y rencontrerons sûrement bien des Bartimée !