Homélie du 2 janvier 2022
Matt 2, 1-12
Epiphanie : l’accueil des nations
Les rois mages nous disent une belle histoire, pleine de significations et de symboles. Il s’agit de personnages étrangers importants. Ils ont parcouru de grandes distances et marchent lentement au rythme des chameaux. Ils viennent de loin.
On ne fait pas un long voyage comme celui-là sans raison. Vous vous rendez-compte tout ce qu’il faut prévoir. Des serviteurs, de la nourriture, de l’eau, des tentes, de quoi dormir, et des cadeaux évidemment. Il faut tout prévoir. On ne trouve rien sur le chemin et il n’y a pas de téléphone portable pour demander une livraison express de quelque chose qu’on aurait oublié.
Tout ce déménagement montre que l’événement dont on parle est important.
Le message, c’est que la planète entière accueille Jésus, ce gamin sur la paille, et pas seulement les juifs qui attendent leur messie. Toutes les cultures le reçoivent. Toutes les nations l’accueillent.
Mais accueillir Jésus n’est pas une chose évidente. Les hésitations des mages le prouvent. Comment trouver sa route quand on vient de si loin ?
À l’époque il n’y a pas de carte, et il n’y a pas non plus de GPS.
Il y a même un doute en chemin parce que les mages se sont perdus en arrivant en ville, à Jérusalem. Ils ont dû aller voir ce bandit d’Hérode pour lui demander leur route. Heureusement, ils ont retrouvé l’étoile qui les avait guidés jusque-là, et pas n’importe quelle étoile. C’est une étoile divine qui est positionnée juste au-dessus du lieu de naissance de Jésus. Seulement voilà, cette étoile parfois disparaît, et on ne sait pas pourquoi. Et puis elle réapparaît et les rois mages reprennent la bonne route.
Tout cela ressemble étrangement à notre difficulté à nous orienter spirituellement dans la vie. Parfois je vois clairement où je vais et parfois je suis complètement dans le brouillard et je m’interroge sur ce qu’il faut faire. Et là j’aurais bien besoin d’une épiphanie. Je m’inquiète, je tourne en rond, j’ai l’impression de ne pas avancer, je me laisse troubler par des choses sans importance. J’ai perdu le cap. J’ai perdu le sens de l’orientation. Je ne vois plus mon étoile.
Plus que jamais nous avons besoin de l’épiphanie pour retrouver la bonne route vers Dieu. Nous avons besoin de retrouver notre boussole. Comme nos contemporains, nous avons bien des difficultés à vraiment entendre en nous ce qui vient de Dieu et comment il nous appelle.
Les mages nous disent que cet appel du Messie est pour tous les hommes de ce temps, en particulier pour ceux qui sont les plus lointains. Certains sont loin par la distance géographique, mais cette distance est vite comblée aujourd’hui, en quelques heures d’avion. D’autres sont loin culturellement ou socialement. Ils vivent dans des mondes loin de Dieu mais ils sont aussi invités à reconnaître le Christ. C’est le message de l’épiphanie.
Les mages d’aujourd’hui ne viennent pas d’Orient ; les mages d’aujourd’hui, toux ceux qui recherchent Dieu, sont dans la rue d’en face, dans le supermarché d’à côté, dans le bureau de dessous, dans une autre religion peut-être.
L’étoile est là pour eux aussi, s’ils recherchent la vraie lumière.
Pierre de Charentenay, sj
St Ferréol, Epiphanie 2022
Message pour la paix du pape François pour la 55e Journée mondiale de la paix du 1er janvier 2022
Dialogue entre générations, éducation et travail :
des outils pour construire une paix durable
1. «Comme ils sont beaux, sur les montagnes, les pas du messager qui annonce la paix» (Is 52, 7)
Ces paroles du prophète Isaïe expriment la consolation, le soupir de soulagement d’un peuple exilé, épuisé par la violence et les sévices, exposé à l’indignité et à la mort. Le prophète Baruch s’interrogeait : « Pourquoi donc, Israël, pourquoi es-tu exilé chez tes ennemis, vieillissant sur une terre étrangère, souillé par le contact des cadavres, inscrit parmi les habitants du séjour des morts ?» (3, 10-11). Pour ces gens, l’avènement du messager de paix signifiait l’espérance d’une renaissance sur les décombres de l’histoire, le début d’un avenir radieux. Aujourd’hui encore, le chemin de la paix, que saint Paul VI a appelé du nouveau nom de développement intégral, [1]reste malheureusement éloigné de la réalité de beaucoup d’hommes et de femmes et, par conséquent, de la famille humaine, désormais complètement interconnectée. Malgré les multiples efforts visant à un dialogue constructif entre les nations, le bruit assourdissant des guerres et des conflits s’amplifie, tandis que des maladies aux proportions pandémiques progressent, que les effets du changement climatique et de la dégradation de l’environnement augmentent, que le drame de la faim et de la soif s’aggrave et qu’un modèle économique basé sur l’individualisme plutôt que sur le partage solidaire continue de dominer. Aujourd’hui encore, comme au temps des anciens prophètes, la clameur des pauvres et de la terre[2] ne cesse de s’élever pour implorer justice et paix. À chaque époque, la paix est à la fois un don du ciel et le fruit d’un engagement commun. Il y a, en effet, une “architecture” de la paix, dans laquelle interviennent les différentes institutions de la société, et il y a un “artisanat” de la paix qui implique chacun de nous personnellement.[3]Chacun peut collaborer à la construction d’un monde plus pacifique : à partir de son propre cœur et des relations au sein de la famille, dans la société et avec l’environnement, jusqu’aux relations entre les peuples et entre les États. Je voudrais proposer ici trois voies pour construire une paix durable. Tout d’abord, le dialogue entre les générations comme base pour la réalisation de projets communs. Deuxièmement, l’éducation en tant que facteur de liberté, de responsabilité et de développement. Enfin, le travail pour une pleine réalisation de la dignité humaine. Ces trois éléments sont essentiels pour «l’élaboration d’un pacte social»,[4] sans lequel tout projet de paix est inconsistant.
2. Dialoguer entre les générations pour construire la paix
Dans un monde toujours en proie à la pandémie qui a causé tant de maux, «certains essaient de fuir la réalité en se réfugiant dans leurs mondes à eux, d’autres l’affrontent en se servant de la violence destructrice. Cependant, entre l’indifférence égoïste et la protestation violente, une option est toujours possible : le dialogue. Le dialogue entre les générations».[5] Tout dialogue sincère, même s’il n’est pas dépourvu d’une dialectique juste et positive, requiert toujours une confiance fondamentale entre les interlocuteurs. Nous devons retrouver cette confiance mutuelle ! La crise sanitaire actuelle a accru pour tout le monde le sentiment de solitude et de repli sur soi. La solitude des personnes âgées s’accompagne chez les jeunes d’un sentiment d’impuissance et de l’absence d’une idée commune de l’avenir. Cette crise est certainement douloureuse. Mais c’est aussi une crise qui peut faire ressortir le meilleur des personnes. En effet, pendant la pandémie, nous avons vu de généreux témoignages de compassion, de partage et de solidarité dans le monde entier. Le dialogue consiste à s’écouter, discuter, se mettre d’accord et cheminer ensemble. Favoriser tout cela entre les générations signifie labourer le sol dur et stérile du conflit et du rejet pour cultiver les semences d’une paix durable et partagée. Alors que le développement technologique et économique a souvent divisé les générations, les crises contemporaines révèlent l’urgence de leur alliance. D’une part les jeunes ont besoin de l’expérience existentielle, sapientielle et spirituelle des personnes âgées ; d’autre part les personnes âgées ont besoin du soutien, de l’affection, de la créativité et du dynamisme des jeunes. Les grands défis sociaux et les processus de pacification ne peuvent se passer du dialogue entre les gardiens de la mémoire – les personnes âgées – et ceux qui font avancer l’histoire – les jeunes – ; pas plus que de la disponibilité de chacun pour faire place à l’autre, pour ne pas prétendre occuper toute la scène en poursuivant des intérêts immédiats comme s’il n’y avait ni passé ni avenir. La crise mondiale que nous vivons nous montre que la rencontre et le dialogue entre les générations sont le moteur d’une politique saine qui ne se contente pas de gérer le présent «avec des rapiècements ou des solutions rapides»[6], mais qui se propose comme une forme éminente d’amour de l’autre,[7] dans la recherche de projets communs et durables. Si, face aux difficultés, nous savons pratiquer ce dialogue intergénérationnel, « nous pourrons être bien enracinés dans le présent, et, de là, fréquenter le passé et l’avenir : fréquenter le passé, pour apprendre de l’histoire et pour guérir les blessures qui parfois nous conditionnent ; fréquenter l’avenir pour nourrir l’enthousiasme, faire germer des rêves, susciter des prophéties, faire fleurir des espérances. De cette manière, nous pourrons, unis, apprendre les uns des autres».[8] Sans racines, comment les arbres pourraient-ils pousser et porter des fruits ? Il suffit de penser à la question du soin de notre maison commune. L’environnement, en effet,est «un prêt que chaque génération reçoit et doit transmettre à la génération suivante».[9] Nous devons donc apprécier et encourager les nombreux jeunes qui s’engagent pour un monde plus juste et attentif à la sauvegarde de la création confiée à nos soins. Ils le font avec préoccupation et enthousiasme, et surtout avec un sens des responsabilités face à l’urgent changement de direction[10] que nous imposent les difficultés nées de la crise éthique et socio-environnementale actuelle.[11] Par ailleurs, la possibilité de construire ensemble des chemins de paix ne peut être séparée de l’éducation et du travail qui sont des lieux et des contextes privilégiés pour le dialogue intergénérationnel. C’est l’éducation qui fournit la grammaire du dialogue entre les générations, et c’est dans l’expérience du travail que des hommes et des femmes de différentes générations se retrouvent à collaborer, à échanger des connaissances, des expériences et des compétences en vue du bien commun.
3. L’instruction et l’éducation comme moteurs de la paix
Ces dernières années, le budget consacré à l’éducation et à l’instruction, considérées comme des dépenses au lieu d’investissements, a été sensiblement réduit dans le monde entier. Et pourtant, elles sont les premiers vecteurs d’un développement humain intégral : elles rendent la personne plus libre et responsable et sont indispensables pour la défense et la promotion de la paix. En d’autres termes, instruction et éducation sont les fondements d’une société unie, civilisée, capable de créer l’espérance, la richesse et le progrès. Les dépenses militaires, en revanche, ont augmenté, dépassant le niveau enregistré à la fin de la “guerre froide”, et elles semblent devoir croître de manière exorbitante.[12] Il est donc opportun et urgent que tous ceux qui ont une responsabilité de gouvernement élaborent des politiques économiques qui prévoient une inversion du rapport entre les investissements publics dans l’éducation et les fonds destinés aux armements. D’ailleurs, la poursuite d’un réel processus de désarmement international ne peut qu’entraîner de grands bénéfices pour le développement des peuples et des nations en libérant des ressources financières à employer de manière plus appropriée pour la santé, l’école, les infrastructures, le soin du territoire, et ainsi de suite. J’ai l’espoir que l’investissement dans l’éducation s’accompagne d’un engagement plus grand pour promouvoir la culture du soin.[13]Celle-ci, face aux fractures de la société et à l’inertie des institutions peut devenir le langage commun qui abatte les barrières et construise des ponts. «Un pays grandit quand dialoguent de façon constructive ses diverses richesses culturelles : la culture populaire, la culture universitaire, la culture des jeunes, la culture artistique et technologique, la culture économique et la culture de la famille, et la culture des médias».[14] Il est donc nécessaire de forger un nouveau paradigme culturel à travers «un pacte éducatif global pour et avec les jeunes générations, qui engage les familles, les communautés, les écoles et les universités, les institutions, les religions, les gouvernants, l’humanité entière, dans la formation de personnes matures».[15] Un pacte qui promeuve l’éducation à l’écologie intégrale selon un modèle culturel de paix, de développement et de durabilité, axé sur la fraternité et sur l’alliance entre l’être humain et l’environnement.[16] Investir dans l’instruction et l’éducation des jeunes générations est la route principale qui les conduit, à travers une préparation spécifique, à occuper avec profit une juste place dans le monde du travail.[17]
4. Promouvoir et garantir le travail construit la paix
Le travail est un facteur indispensable pour construire et préserver la paix. Il est expression de soi et de ses propres dons, mais aussi effort, fatigue, collaboration avec les autres, puisqu’on travaille toujours avec ou pour quelqu’un. Dans cette perspective fortement sociale, le travail est le lieu où nous apprenons à donner notre contribution pour un monde plus vivable et plus beau. La pandémie de Covid-19 a aggravé la situation du monde du travail, qui affrontait déjà de multiples défis. Des millions d’activités économiques ont fait faillite; les travailleurs précaires sont de plus en plus exposés; beaucoup de ceux qui assurent des services essentiels sont davantage ignorés de la conscience publique et politique; l’instruction à distance a causé, dans de nombreux cas, une régression de l’apprentissage et des parcours scolaires. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail et les adultes victimes du chômage font face aujourd’hui à des perspectives dramatiques. En particulier, l’impact de la crise sur l’économie informelle, qui souvent concerne des travailleurs migrants, a été dévastateur. Beaucoup d’entre eux ne sont pas reconnus par les lois nationales, comme s’ils n’existaient pas. Ils vivent dans des conditions très précaires, eux et leurs familles, exposés à diverses formes de servitudes et sans système de welfare qui les couvre. S’y ajoute le fait qu’actuellement seul un tiers de la population mondiale en âge de travailler jouit d’un système de protection sociale, ou peut en profiter de manière limitée. Dans de nombreux pays la violence et la criminalité organisée progressent, étouffant la liberté et la dignité des personnes, empoisonnant l’économie et empêchant au bien commun de se développer. La réponse à ces situations ne peut passer qu’à travers un élargissement des possibilités de travail digne. Le travail, en effet, est la base sur laquelle se construisent la justice et la solidarité dans toute communauté. C’est pourquoi «on ne doit pas chercher à ce que le progrès technologique remplace de plus en plus le travail humain, car l’humanité se dégraderait elle-même. Le travail est une nécessité, il fait partie du sens de la vie sur cette terre, chemin de maturation, de développement humain et de réalisation personnelle ».[18] Nous devons rassembler les idées et les efforts pour créer les conditions et trouver des solutions afin que tout être humain en âge de travailler ait la possibilité, par son travail, de contribuer à la vie de sa famille et de la société. Il est plus que jamais urgent de promouvoir dans le monde entier des conditions de travail décentes et dignes, orientées vers le bien commun et la sauvegarde de la création. Il faut assurer et soutenir la liberté d’initiative des entreprises et, en même temps, développer une responsabilité sociale renouvelée pour que le profit ne soit pas l’unique critère-guide. Dans cette perspective, doivent être stimulées, accueillies et soutenues les initiatives qui, à tous les niveaux, motivent les entreprises au respect des droits humains fondamentaux des travailleuses et des travailleurs, en sensibilisant non seulement les institutions mais aussi les consommateurs, la société civile et les entreprises. Plus ces dernières sont conscientes de leur rôle social, plus elles deviennent des lieux où s’exerce la dignité humaine, participant ainsi à la construction de la paix. Sur ce sujet, la politique est appelée à jouer un rôle actif en promouvant un juste équilibre entre liberté économique et justice sociale. Tous ceux qui œuvrent en ce domaine, en commençant par les travailleurs et les entrepreneurs catholiques, peuvent trouver des orientations sûres dans la Doctrine sociale de l’Église.
Chers frères et sœurs, alors que nous cherchons à unir nos efforts pour sortir de la pandémie, je voudrais renouveler ma gratitude à tous ceux qui sont engagés, et qui continuent à se dévouer avec générosité et responsabilité, pour garantir l’instruction, la sécurité et la protection des droits, pour donner les soins médicaux, pour faciliter la rencontre entre familles et malades, pour garantir un soutien économique aux personnes pauvres ou qui ont perdu leur travail. Et j’assure de ma prière toutes les victimes et de leurs familles. Aux gouvernants et à tous ceux qui ont des responsabilités politiques et sociales, aux pasteurs et aux animateurs des communautés ecclésiales, ainsi qu’à tous les hommes et femmes de bonne volonté, je lance un appel pour que nous marchions ensemble dans ces trois voies: le dialogue entre les générations, l’éducation et le travail; avec courage et créativité. Et que soient de plus en plus nombreux ceux qui, sans faire de bruit, avec humilité et ténacité, se font jour après jour des artisans de paix. Et que la Bénédiction du Dieu de la paix les précède et les accompagne toujours.
Du Vatican, le 8 décembre 2021
FRANÇOIS _______________________
[1] Cf. Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 76ss. [2] Cf. Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 49. [3] Cf. Lett. enc. Fratelli tutti (3 ocotbre 2020), n. 231. [4] Ibid., n. 218. [5] Ibid., n. 199. [6] Ibid.,