Abus sexuels dans l’Eglise: Les suites du rapport de la Ciase

St Ferréol, 30 novembre
Pierre de Charentenay

Comme on le sait, les abus sexuels se déroulent le plus souvent dans le cadre familial. Et les abus dans l’Eglise sont une minorité mais ils sont très lourds de sens et de destruction car ils se déroulent dans un cadre qui devrait au contraire protéger l’enfant et qui fait référence au plus élevé dans l’homme, le spirituel. Ceux qui devaient défendre et protéger la vie donne au contraire la mort. C’est le commandement « Tu ne tueras pas qui est » bafoué. A Garapon parle « d’empêchement d’être ». C’est donc une affaire très grave où la vie des victimes est en jeu.

 Si on parle autant de ces sujets c’est que la contradiction entre l’Evangile et ces actes a quelque chose de très pervers. Cela n’empêche pas la majorité des prêtres d’avoir une conduite exemplaire. Mais le petit nombre de déviants jette un voile sur l’ensemble.

Pour traiter de toutes ces questions, je voudrais faire un rapide développement sur quelques points concernant le phénomène de la pédocriminalité dans l’Eglise (parce que c’est à ceux-la que veut répondre la Ciase et qui sont discutés aujourd’hui), puis j’en viendrai au rapport de la Ciase et aux réactions au rapports.

  1. Bref retour sur la pédocriminalité dans l’Eglise
  1. Des schémas similaires

Partout on retrouve un schéma similaire : la protestation des victimes et la volonté de se faire reconnaître. Il faut souligner ici le courage des victimes qui sont rejetée, manipulée pour les contraindre au silence.

C’est ensuite le silence de la hiérarchie et l’évitement des questions. Au mieux, elle fait la sourde oreille et écoute sans rien faire.

Ces deux séquences sont suivies souvent d’un événement médiatique majeur, soit un cas très grave d’abus comme celui de l’évêque de Bruges, soit un film comme Kler en Pologne, qui est dévastateur pour le clergé polonais. Soit la constitution d’une association comme La Parole libérée à Lyon.

Cet événement a rendu public ces abus et force l’épiscopat à entendre les victimes. C’est le début d’un processus. Il est souvent très lent, avec beaucoup de résistance, beaucoup de refus d’entendre de la part de l’institution.

Comment est-ce possible ? Parce que l’institution veut se protéger et que les victimes sont ignorées. C’est la même dynamique qu’on retrouve tout le temps Elle se vit encore aujourd’hui comme nous le verrons avec les réactions contre le rapport Sauvé.

  • Un système qui conditionne ces actes.

Pourquoi cette répétition dans tant de pays, et que la Ciase va également soulever ? C’est que des conditionnements se répètent et forment un système.

  1. D’abord l’absence de la culture du droit : les règles existent, mais elles ne sont pas appliquées.

Des procédures existent pour les nominations d’évêques. Elles ne sont pas appliquées. Les faits objectifs montrés dans des rapports, énoncés par des victimes ne sont pas pris en compte.

On constate que le droit canonique n’est pas appliqué. Il faut donc resserrer le droit canonique sur des nombreux points notamment les conséquences pénales des actes d’abus.

  • Nous sommes devant une culture théologique qui s’est constitué progressivement et qui met en condition des personnes qui peuvent devenir des abuseurs.

C’est d’abord le cléricalisme, avec une théologie verticale, centrée sur la figure du prêtre et une théologie du sacerdoce, alter Christi, qui fait du prêtre une personne sacrée que l’on ne peut pas soupçonner.

Le rôle du charisme, qui n’est pas mis en question, parce que il draine de nombreux jeunes et que l’on ne veut pas poser de questions. Il est très mal vu d’être un lanceur d’alerte dans l’Eglise. On les écarte, on les fait taire. L’homme charismatique rend lui-même impossible sa propre remise en question.

Enfin, un phénomène que l’on découvre, celui de l’emprise, la capacité qu’ont certaines personnes de mettre leur interlocuteur en situation de dépendance. C’est difficile à détecter, comme les phénomènes sectaires.

Tout cela forme un système qui a un impact sur les individus et qui peut les mener aux abus de pouvoir et in fine aux abus sexuels.

  • L’attitude défaillante de l’Eglise

L’action de l’Eglise a évolué selon les périodes. La commission Sauvé a donné une périodisation pour la France qui recoupe celle que l’on observe aux États-Unis et dans d’autres pays.

 De 1950 à 1970, l’Eglise cherchait essentiellement à « sauver » les agresseurs et dans tout son possible à obtenir des victimes le silence. La moitié des abus sont commis dans cette période.

De 1970 à 1990, l’Eglise a poursuivi ces mêmes politiques mais elle a été préoccupée par des problèmes internes liés à la question du sacerdoce et la gestion des clercs « à problèmes ».

À partir de 1990, elle commence à prendre en compte l’existence des personnes victimes. Aux États-Unis les mesures ont été assez rapides puisque la grande assemblée de Dallas en 2002 a pris des mesures très sévères à partir des informations qu’elle recevait.

En France, tout sera plus tardif. La reconnaissance du statut de victime n’émerge que dans les années 2010 avec l’injonction du signalement à la justice. Il faut attendre 2016 pour avoir une vraie politique cohérente d’accueil et de soutien des victimes. Mais tout cela a été très lent.

  1. Le rapport de la Ciase.

La France ne prend l’initiative d’une Commission indépendante que très tardivement par rapport aux pays anglo-saxons.

Le 5 novembre 2018, Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France (CEF), et Sr Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) donnaient une lettre de mission à Jean-Marc Sauvé, lui demandant de constituer une Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE), devenue la Commission Sauvé. Celui-ci rendait son rapport le 5 octobre 2021, après presque 3 ans de travail.

  1. Constitution et méthode de la Commission

          Le président Jean-Marc Sauvé a beaucoup consulté de spécialistes parmi les meilleurs dans tous les domaines que concernent les abus sexuels : il a finalement rassemblé une commission de 21 membres, tous bénévoles comme lui-même. Elle était constituée de psychiatre, de médecin, de juriste, de magistrat, de spécialiste de l’enfance, de sociologue, d’historien, de théologien, etc. Cette diversité de compétence donne une très grande crédibilité aux conclusions du rapport. Pour assurer une rigueur sans biais dans le travail, la commission ne comprenait ni ecclésiastique ni personne victime.

La méthode de travail a été animée par la conviction que ce sont les victimes qui détiennent le savoir unique qu’il faut entendre, comprendre et traduire. C’est fondamental. Elle a consisté en des auditions et des entretiens conduits par les membres de la commission elle-même, qui se sont déroulés à Paris et en province.

Un appel à témoignage a été lancé en juin 2019 et a permis de nouer 6 471 contacts, et d’aboutir à 1 628 questionnaires complétés.

En plus de ce travail, trois études ont été commandées à des institutions professionnelles : d’abord une enquête en population générale a été menée en ligne, par l’Inserm, de novembre 2020 à janvier 2021, auprès d’un échantillon par quota de 28 000 personnes âgées de plus de 18 ans. Un deuxième élément réalisé par l’Ecole pratique des hautes études fut une recherche d’archives socio-historiques. Elle est partie des archives de 31 diocèses et de 15 instituts religieux. Elle a été complétée par les archives de divers ministères et de la gendarmerie. Une troisième étude, socio-anthropologique, a été menée par la Maison des sciences de l’homme pour analyser les témoignages des personnes victimes, et les multiples courriers envoyés à la CIASE.

À partir de ces compétences et de ces données, la commission a rédigé un rapport de 500 pages, constitué de trois parties, d’abord le constat des données, ensuite un diagnostic de ces réalités selon le contexte de chaque époque, enfin des pistes de traitement de ces phénomènes de violence sexuelle dans l’Eglise.

Le rapport complet commence par donner la parole aux victimes sur une quinzaine de pages. Cette partie et son positionnement au début de ce volumineux rapport de 500 pages sont capitaux. Il importe de mesurer la profondeur des traumatismes vécus par les victimes, la destruction dont elles ont été l’objet. Il ne suffit pas en effet de donner des statistiques, et d’examiner ce que l’Eglise a fait ou pas. Les victimes sont le sujet du rapport et devraient être le sujet de la préoccupation de ses lecteurs. Gardons cela en tête.

  • Quelques chiffres du rapport

Numériquement, les chiffres donnés par ce rapport sont considérables. 216 000 victimes mineures ont été agressées sur 70 ans, entre 1950 et 2020, par des prêtres, diacres, religieux ou religieuses. Si on élargit cette analyse à l’ensemble des personnes en lien avec l’Eglise, on aboutit à un chiffre de 330 000 victimes. Ce sont des estimations, des projections mais faites par des instituts professionnels de réputation internationale.

La différence considérable entre ces chiffres et les projections faites par Jean-Marc Sauvé quelque mois auparavant, autour de 10 000 victimes, s’explique par l’enquête en population générale qui a pu recevoir une masse d’informations que les appels à témoignage ne pouvaient pas donner, étant donné la réticence des victimes à se signaler volontairement. C’est pour cela que les victimes commencent à parler. Parce que cela devient audible.

Il est important de situer ces conclusions dans le cadre des violences sexuelles constatées dans la société française. Ce sont environ 5,5 millions de personnes qui ont subi de telles violences pendant leur minorité. Les violences commises par les clercs représentent un peu moins de 4 % de ce total. Avec les laïcs, ce chiffre monte à 6%.

Un regard plus précis sur les sphères de socialisation montre que l’Eglise est le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée (1,16% des personnes). Elle est de 0,36 % dans les colonies de vacances, 0,34 % dans l’école publique, 0,28 % dans les clubs de sport.

Il est plus compliqué d’estimer le nombre de clercs agresseurs pendant cette période. Les recherches permettent d’estimer entre 2 900 et 3 200 le nombre des agresseurs, ce qui est un ratio de 3% de l’effectif total des clercs jusqu’à nos jours (115 000), une estimation qui apparaît minimal en comparaison avec les autres pays. La réalité est probablement bien supérieure.

La Commission Sauvé examine aussi les moyens que l’Eglise de France a pris pour lutter contre la pédophilie. Elle note une grande diversité d’action selon les diocèses et les instituts religieux, mais elle souligne l’insuffisance, souvent tardive, des réactions aux événements. Le signalement, obligatoire dès novembre 2000, a été appliqué de manière très diverse selon les lieux.

Si des cellules d’accueil et d’écoute des personnes victimes ont été mises en place dans la majorité des diocèses, elles l’ont été en ordre dispersé et sans réelle fondation.

  • Quarante-cinq recommandations

Après ce constat, la commission a souhaité faire un certain nombre de propositions pour réparer ces événements du passé et pour prévenir leur répétition. C’est ce que la CEF lui avait demandé. Elle les a présentées sous forme de 45 recommandations.

Il faut d’abord reconnaître les responsabilités de l’Eglise (n°23 à 26). Il ne peut pas y avoir de cheminement avec les personnes victimes sans passer par cette étape de la reconnaissance de la responsabilité, à la fois individuelle et systémique. L’Eglise n’a pas su capter les signaux lancés par les victimes.

Il faut ensuite réparer, et d’abord reconnaître la qualité de victime aux personnes abusées. Il faut indemniser. L’indemnisation n’est pas attachée à la qualité d’un fait, mais aux effets du préjudice. Elle n’est pas un don mais un du, et ne devrait pas être issue de contributions des fidèles.

L’Eglise devra ensuite consolider ce qui a déjà été entrepris (n° 44 à 45). Il faut poursuivre les efforts de sensibilisation, de prévention et d’information. Il faut prolonger les efforts déjà engagés dans la sélection et l’accompagnement des séminaristes.

La commission insiste sur une révision de la théologie du sacerdoce qui fait du prêtre un être à part, quasiment sacralisé. Elle souhaite que l’on porte attention aux dangers de la concentration du pouvoir. Elle n’hésite pas à remettre en cause une conception de la gouvernance de l’Eglise trop éloignée du pluralisme pour inviter à davantage de synodalité et de délibération collective.

De nombreuses recommandations (n° 15 à 22) évoque la question de l’accueil et de l’écoute des personnes victimes. Elle propose la constitution de comités d’accueil inter-diocésains, pour rassembler les compétences nécessaires. Elle insiste sur le caractère professionnel de cette activité d’accueil qui ne peut pas être laissée à de simples bonnes volontés. Dans la même ligne, une recommandation insiste fortement pour que les membres de ces comités soient tous des laïcs.

Les questions de droit canonique font l’objet de sept recommandations (n° 37 à 43), C’est un point important du dispositif, on a trop négligé le droit.

Conclusions sur ce rapport

Je ferai une conclusion en trois remarques :
– On peut d’abord affirmer sans crainte que le rapport publié par la commission Sauvé marque un avant et un après dans l’Eglise de France. Longtemps, l’opinion est restée dans le flou sur les chiffres et les raisons de ces crimes, sous-estimant leur étendue dans la population. Ces révélations sont redoutables, mais salutaires.
– Il faut remarquer ensuite que le rapport Sauvé est probablement le meilleur, le plus fouillé et le plus crédible de tous ceux qui ont déjà été publiés dans l’Eglise universelle. La majorité des autres rapports, sauf celui des Pays-Bas, se sont contenté de recherches d’archives et d’appels à témoignage limitant considérablement leur résultat. La Commission Sauvé s’est assuré en outre de la collaboration de divers instituts de sciences humaines, renommés pour leur sérieux et leur compétence. Sa liberté d’action, la réputation de son président et le parti pris d’écouter d’abord les personnes victimes ont permis un travail qui fera date dans la manière dont l’Eglise affronte son passé récent.
– La vraie révolution du rapport Sauvé est de mettre les victimes au centre des préoccupations de l’Eglise. Celle-ci ne peut plus penser d’abord en termes de sa protection. Elle doit reconnaître sa responsabilité, et faire tout pour tenter de réparer les crimes passés. Et ce n’est pas simplement une question d’argent. Elle doit montrer que sa prise de conscience est réelle. Les mots de honte et de culpabilités, même répétés, ne sont pas suffisants.

III. Les suites du rapport Sauvé

  1. L’Assemblé plénière des évêques du début novembre 2021

          Après ce rapport Sauvé, la balle est dans le camp de l’Eglise, Jean-Marc Sauvé l’a dit clairement. Il n’y a pas de comité de suivi de la commission. C’est à l’Eglise à prendre maintenant ses responsabilités. Elle en a eu l’occasion au cours de son Assemblée plénière de début novembre.

Avant l’Assemblée plénière de l’épiscopat du début novembre, une petite inquiétude est apparue sur les réactions des évêques. Ce fut le silence complet pendant plusieurs semaines et certains étaient inquiets de savoir ce qui allait se passer.

Finalement cette assemblée a répondu au défi qui lui était lancé. Elle a vraiment lu le rapport Sauvé dans l’esprit où il avait été écrit, c’est-à-dire mettre les victimes au centre de leurs préoccupations et non pas l’institution. Les résolutions votées le 8 novembre témoignent d’un long parcours accompli depuis six mois.

Trois affirmations donnent le ton de l’ensemble de ces résolutions :

  1. reconnaître la responsabilité institutionnelle de l’Eglise. Cette reconnaissance manifeste une évolution considérable puisque pendant longtemps l’Eglise a considéré que les abus sexuels était le fait de déviances individuelles où l’institution n’était pas engagée
  2. reconnaître la dimension systémique de ces violences. Les évêques reconnaissent qu’il existe un contexte global, des pratiques de gouvernement qui ont permis que ces actes se perpétuent et ne soient pas dénoncés.
  3. Reconnaître que cette responsabilité entraîne un devoir de justice et de réparation. Conséquence des points précédents, la réparation doit venir de l’église.

Ces trois affirmations montrent un cheminement considérable accompli depuis la précédente assemblée. Elles sont capitales. Elles vont produire un certain nombre de mesures. J’en cite trois :

  1. La création d’une instance nationale de reconnaissance et de réparation. Il faut reconnaître aux victimes leur statut de victime et entrer dans un processus de réparation. Cette instance sera dirigée par Marie Derain de Vaucresson.
  2. Les évêques s’engagent à alimenter un fonds pour indemniser les personnes victimes, sans prendre sur le Denier du culte.
  3. Dans l’esprit de synodalité, de travail avec toutes les composantes de l’Eglise, les évêques constituent neuf groupes de travail, pour approfondir les sujets soulevés par les recommandations du rapport Sauvé.

À cela s’ajoute une dizaine de mesures particulières
– Vérification des antécédents judiciaires de tout agent pastoral
– Référentiel national de mesures de prévention dans les institutions de l’Eglise
– Signature d’un protocole entre les diocèses et les parquets.
– Ils décident aussi d’ériger un tribunal pénal canonique national

Vous trouvez facilement l’ensemble de ces conclusions sur le site de la CEF.
La CEF a fait un énorme travail, un défi pour le futur.

  • Les critiques du Rapport Sauvé
    Il y a eu assez rapidement des critiques du rapport. Mais elles étaient à bas bruit, limitées à des sites Internet opposés à l’Eglise.*

Mais il y a trois jours le 27 novembre dernier, est apparue une critique plus élaborée, plus formelle de la part de huit membres de l’Académie catholique.
Cette académie, fondée en 2008, qui n’a aucun caractère officiel, est une sorte de réplique du CCIF, Centre catholique des intellectuels français qui a existé de 1941 à 1977. Quelques membres ont donc étudié le rapport Sauvé et publié une étude, d’une vingtaine de pages, très critique sur ce rapport.         
Ce texte de l’Académie catholique s’attache au début à une critique des chiffres, notamment le chiffre de 330 000 victimes. L’argumentation est assez technique et l’on se trouve devant deux expertises différentes, l’une dont on ne sait pas l’origine, l’autre qui est réalisée par l’Inserm et l’IFOP, deux instituts de grande renommée. Le jugement de l’Académie catholique est direct : « la rigueur scientifique n’a pas présidé à ses travaux » p. 2. Elle veut décrédibiliser le rapport Sauvé.

La Ciase, selon l’Académie catholique, développe le discours « systémique » et dénonce des propositions qui visent à « mettre à bas l’Eglise institution ».

« L’esprit qui préside à l’analyse de la Ciase semble idéologique » p. 3. On ne peut pas réformer l’Eglise de l’extérieur. L’Académie catholique dénonce dans ce rapport Sauvé une incompréhension, voire une hostilité contre l’Eglise.

Selon l’Académie catholique, le rapport Sauvé remet en cause l’exercice ministériel sacerdotal et épiscopal. La Ciase est accusée d’un parti pris permanent visant à dévaloriser la théologie du célibat.

Cette partie sur la théologie se conclut par le jugement suivant : « ecclésiologie imparfaite, exégèse faible, théologie morale périmée ».

Ce texte de l’Académie catholique discute ensuite de la responsabilité civile de l’Eglise. L’Eglise ne peut pas être tenue institutionnellement responsable. L’Eglise comme telle, qui n’est pas une entité juridique, ne peut pas avoir de patrimoine. En résumé, la responsabilité civile de l’Eglise n’existe pas. Si la Ciase en parle, c’est parce qu’elle a l’idée d’un système, où tout se tient.

La Ciase est accusée d’envisager de reconnaître la responsabilité de l’Eglise pour l’ensemble de la période analysée, c’est-à-dire depuis 1950, ce qui nierait la prescription. Mais la Ciase dépasse la prescription parce que les blessures des victimes ne s’arrêtent pas à une date déterminée.

Le financement des réparations est selon l’Académie impossible parce que l’Eglise n’est pas une entité juridique. (On utilise le droit ici pour éviter que l’Eglise ne soit engagée financièrement).

L’Académie dévalue également le rôle de l’Institut prévu pour la reconnaissance des victimes. Elle soupçonne le témoignage même des victimes.

L’Académie catholique conclut son texte :
-Elle écrit que la Ciase a sous-estimé tout ce que l’Eglise a déjà fait.
– Elle dénonce des recommandations qui sont discutables.
– Quand elles touchent les finances, « certaines recommandations pourraient s’avérer ruineuses pour l’Eglise » p. 10
– Il pourrait aussi y avoir de fausses victimes.
– La Ciase est accusée de « remettre en cause la nature spirituelle et sacrée de l’Eglise catholique ».

Commentaires

On peut discuter de la méthode et des conclusions de la Ciase. Jean Marc Sauvé l’a rappelé. Mais l’Académie catholique ne cherchent pas à comprendre la logique du rapport Sauvé.

Même s’il y a quelques paragraphes sur les victimes au début comme à la fin du rapport, ces pages de l’Académie consistent à prendre le point de vue de l’Eglise institution pour dénigrer les analyses qui sont faites et par là rejeter les mises en cause. L’Académie catholique n’a pas compris que le rapport de la Ciase était orientée par la volonté d’écoute des victimes et non par la défense de l’institution Eglise.

On s’interroge sur les motifs qui ont présidé à une telle publication : est-ce pour que l’Eglise échappe à des indemnisations douloureuses ou pour éviter des réformes profondes ? La première victime c’est la CEF, qui est totalement contredite, et la deuxième ce sont toutes les victimes des abus. Mgr de Moulins Beaufort a très bien répondu dans la Croix du 30 novembre : c’est en écoutant les victimes que nous avons avancé. Le mal a été redoublé par l’incapacité de l’institution d’y prêter attention.

Je conclue ce panorama sur l’actualité de la Ciase.

 Le rapport de la Ciase a été clairement une énorme avancée dans la prise de conscience de la responsabilité de tous les membres de l’Eglise devant de fléau des abus sexuels. Je dis « tous les membres », car les laïcs qui n’ont rien dit et qui ont entretenu ce système sont aussi coupables que les prêtres ou les évêques qui ont défendu ce système.
Quant au débat sur le rapport Sauvé, il manifeste des divisions profondes dans l’Eglise, des résistances de membres de l’institution à voir ce qui s’est passé, avec la volonté de contester les conclusions de l’Assemblée des évêques.

Espérons que finalement la force de l’Evangile et l’attention aux plus petits et aux blessés l’emportera sur le cynisme institutionnel, qui pense d’abord aux dangers de cette affaire pour l’Eglise plus qu’aux blessures vives des victimes..

Pierre de Charentenay sj
30 novembre 2021

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Homélie du 28 novembre 2021: 1er dimanche de l’Avent

Homélie du 1er dimanche de l’Avent – Année C
L’apocalypse du quotidien
Lc 21, 25-28, 34-36

En ce dimanche, nous entrons dans cette période de l’Avent qui nous prépare à Noël. Et la préparation est plutôt rude car elle commence par un discours d’apocalypse, une sorte de vision de fin du monde où le Christ apparaît dans sa puissance et sa gloire. « Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots ».
Mais qu’est-ce qu’une apocalypse ? C’est en fait une révélation, un dévoilement, le dévoilement d’un monde nouveau. Ce n’est pas la fin du monde, c’est la fin d’un monde. Cela nous parle d’un changement et d’un changement important, où nous passons d’un monde à un autre.
C’est ce qui se passe aujourd’hui. Dans ces lignes de l’Evangile, nous pouvons lire une sorte de description de notre monde actuel où les nations, sur terre, sont affolées et désemparées.
Les différents pays du monde ont bien du mal à savoir comment s’organiser pour affronter le virus que l’on connaît. Que faire devant cette urgence sanitaire ?
En plus de cette pandémie, voilà que le réchauffement climatique menace dangereusement notre avenir. Les projections à 2050 sont plutôt pessimistes.
Et l’angoisse nous prend devant cet avenir imprévisible qui semble nous échapper.
C’est bien la fin d’un monde, un monde de l’insouciance, un monde de la légèreté, où l’on pouvait voyager n’importe où et n’importe quand, si l’on en avait les moyens. Il y avait bien des ouragans et des sécheresses, mais on pouvait encore les réparer.
Nous avons passé le temps où l’on pouvait faire ce que l’on voulait sans contrainte alors que la puissance de la technique avait supprimé toutes les barrières. Voilà maintenant qu’il faut rétablir des barrières partout.
L’apocalypse de ce dimanche, c’est la fin d’un monde, dont nous prenons conscience en ce temps de l’Avent.
Il faut donc apprendre à vivre dans ce monde nouveau de la contrainte, de la limite, de la précaution, de la sobriété, mais aussi de l’incertitude. Car c’est cela le plus problématique, c’est qu’on ne sait plus trop ce que nous pourrons faire demain. On ne peut plus faire de plan à 5 ou 10 ans. On ne sait même pas si le nouveau variant sud-africain va venir changer la donne du coronavirus.
Devant cette situation, en ce premier jour de l’Avent, Jésus nous dit : tenez-vous
sur vos gardes. Il nous le répète : soyez vigilants
Qu’est-ce que cela veut dire dans cette situation nouvelle de la fin d’un monde et
du début d’un autre monde ?
Ce n’est pas le moment de perdre la tête, de se laisser aller aux beuveries et aux
soucis de la vie, et de s’angoisser, mais c’est le moment de revenir à ce qui est
fondamental, comme le dit saint Paul aux Thessaloniciens : que le Seigneur vous
donne entre vous et à l’égard de tous les hommes un amour de plus en plus
intense. Faites de nouveaux progrès dans votre conduite pour plaire à Dieu, en
répondant à votre vocation humaine.
Il est important de tirez de tout cela les conséquences pratiques pour répondre à
la situation nouvelle.
Voilà ce qu’est l’Avent cette année : d’une part l’apocalypse du quotidien, c’està-
dire la révélation des vraies dimensions de notre vie quotidienne, avec ses
lourdeurs, ses angoisses et ses soucis nouveaux. Mais l’Avent, c’est aussi la
remise de tout cela devant Dieu pour le laisser agir et réveiller en nous le désir
que nous avons de le suivre, avec une force intérieure renouvelée, prêts à vivre
ce nouveau monde.
L’Avent, c’est le réveil de notre désir de Dieu dans cette vie quotidienne en
changement.

Pierre de Charentenay, sj