Message du pape : carême 2022

« Ne nous lassons pas de faire le bien, car, le moment venu, nous récolterons, si nous ne perdons pas courage.
Ainsi donc, lorsque nous en avons l’occasion, travaillons au bien de tous » (
Gal 6, 9-10a) 

Chers frères et sœurs,

Le Carême est un temps propice de renouveau personnel et communautaire qui nous conduit à la Pâques de Jésus-Christ mort et ressuscité. Pendant le chemin de Carême 2022 il nous sera bon de réfléchir à l’exhortation de saint Paul aux Galates : « Ne nous lassons pas de faire le bien, car, le moment venu, nous récolterons, si nous ne perdons pas courage. Ainsi donc, lorsque nous en avons l’occasion (chairós), travaillons au bien de tous » (Gal 6, 9-10a). 

1. Semailles et récolte
Dans ce passage, l’Apôtre évoque l’image des semailles et de la récolte, si chère à Jésus (cf. Mt 13). Saint Paul nous parle d’un  chairos : un temps propice pour semer le bien en vue d’une récolte. Quelle est cette période favorable pour nous ? Le Carême l’est, certes, mais toute l’existence terrestre l’est aussi, et le Carême en est de quelque manière une image [1]. Dans notre vie la cupidité et l’orgueil, le désir de posséder, d’accumuler et de consommer prévalent trop souvent, comme le montre l’homme insensé dans la parabole évangélique, lui qui considérait sa vie sûre et heureuse grâce à la grande récolte amassée dans ses greniers (cf. Lc 12 ,16-21). Le Carême nous invite à la conversion, au changement de mentalité, pour que la vie ait sa vérité et sa beauté non pas tant dans la possession que dans le don, non pas tant dans l’accumulation que dans la semence du bien et dans le partage. 
Le premier agriculteur est Dieu lui-même, qui généreusement « continue de répandre des semences de bien dans l’humanité » (Enc. Fratelli tutti, n. 54). Pendant le Carême, nous sommes appelés à répondre au don de Dieu en accueillant sa Parole « vivante et énergique » (He 4,12). L’écoute assidue de la Parole de Dieu fait mûrir une docilité prête à son action (cf. Jc 1,21) qui rend notre vie féconde. Si cela nous réjouit déjà, plus grand encore est cependant l’appel à être « des collaborateurs de Dieu » (1 Co 3, 9), en tirant parti du temps présent (cf. Ep 5, 16) pour semer nous aussi en faisant du bien. Cet appel à semer le bien ne doit pas être considéré comme un fardeau, mais comme une grâce par laquelle le Créateur nous veut activement unis à sa féconde magnanimité. 
Et la récolte ? Ne sème-t-on pas en vue de la récolte ? Bien sûr. Le lien étroit entre les semailles et la récolte est réaffirmé par saint Paul lui-même, qui affirme : « À semer trop peu, on récolte trop peu ; à semer largement, on récolte largement » (2Co 9, 6). Mais de quelle moisson s’agit-il ? Un premier fruit du bien semé se retrouve en nous-mêmes et dans nos relations quotidiennes, jusque dans les plus petits gestes de bonté. En Dieu, aucun acte d’amour, si petit soit-il, et aucune “fatigue généreuse” ne sont perdus (cf. Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 279). De même que l’arbre se reconnaît à ses fruits (cf. Mt 7,16-20), de même la vie remplie de bonnes œuvres est lumineuse (cf. Mt 5, 14-16) et apporte au monde le parfum du Christ (cf. 2 Co 2,15). Servir Dieu, sans péché, fait récolter des fruits de sainteté pour le salut de tous (cf. Rm 6, 22). En réalité, il ne nous est permis de voir qu’une petite partie du fruit de ce que nous semons puisque, selon le proverbe évangélique, « l’un sème, l’autre moissonne » (Jn 4, 37). C’est précisément en semant pour le bien d’autrui que nous participons à la magnanimité de Dieu : « il y a une grande noblesse dans le fait d’être capable d’initier des processus dont les fruits seront recueillis par d’autres, en mettant son espérance dans les forces secrètes du bien qui est semé » (Enc. Fratelli tutti, n. 196). Semer le bien pour les autres nous libère de la logique étroite du gain personnel et confère à nos actions le large souffle de la gratuité, en nous insérant dans l’horizon merveilleux des desseins bienveillants de Dieu. 

La Parole de Dieu élargit et élève notre regard encore plus, elle nousannonce que la véritable moisson est la moisson eschatologique, celle du dernier jour, du jour sans coucher du soleil. Le fruit accompli de notre vie et de nos actions est le « fruit pour la vie éternelle » (Jn 4, 36) qui sera notre « trésor dans les cieux » (Lc 12, 33 ; 18, 22). Jésus lui-même utilise l’image du grain qui meurt en terre et porte du fruit pour exprimer le mystère de sa mort et de sa résurrection (cf. Jn 12, 24) ;et Saint Paul la reprend pour parler de la résurrection de notre corps : « Ce qui est semé périssable ressuscite impérissable ; ce qui est semé sans honneur ressuscite dans la gloire ; ce qui est semé faible ressuscite dans la puissance ; ce qui est semé corps physique ressuscite corps spirituel » (1 Co 15, 42-44). Cet espoir est la grande lumière que le Christ ressuscité apporte dans le monde :« Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non ! Le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis» (1 Co 15, 19-20), de sorte que ceux qui sont intimement unis à lui dans l’amour, « par une mort qui ressemble à la sienne » (Rm 6, 5), soient aussi unis dans sa résurrection pour la vie éternelle(cf. Jn 5, 29) : « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » (Mt 13, 43).        

2. « Ne nous lassons pas de faire le bien »
La résurrection du Christ anime les espoirs sur terre de la « grande espérance » de la vie éternelle et introduit déjà le germe du salut dans le temps présent (cf. Benoît XVI, Enc. Spe salvi, nn. 3. 7). Face à l’amère déception de tant de rêves brisés, face à l’inquiétude devant les défis qui nous attendent, face au découragement dû à la pauvreté de nos moyens, la tentation est de se replier sur son propre égoïsme individualiste et de se réfugier dans l’indifférence aux souffrances des autres. En effet, même les meilleures ressources sont limitées : « Les garçons se fatiguent, se lassent, et les jeunes gens ne cessent de trébucher » (Is 40, 30), mais Dieu « rend des forces à l’homme fatigué, il augmente la vigueur de celui qui est faible. […] Ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se lasser, ils marchent sans se fatiguer » (Is 40, 29.31). Le Carême nous appelle à placer notre foi et notre espérance dans le Seigneur (cf. 1 P 1, 21), car c’est seulement avec le regard fixé sur Jésus-Christ ressuscité (cf. He 12, 2) que nous pouvonsaccueillir l’exhortation de l’Apôtre : « Ne nous lassons pas de faire le bien » (Ga 6, 9).

Ne nous lassons pas de prier. Jésus a enseigné qu’il faut « toujours prier sans se décourager » ( Lc 18, 1). Nous devons prier parce que nous avons besoin de Dieu. Suffire à soi-même est une illusion dangereuse. Si la pandémie nous a fait toucher du doigt notre fragilité personnelle et sociale, que ce Carême nous permette d’expérimenter le réconfort de la foi en Dieu sans laquelle nous ne pouvons pas tenir (cf. Is 7, 9). Personne ne se sauve tout seul, car nous sommes tous dans la même barque dans les tempêtes de l’histoire [2]. Mais surtout personne n’est sauvé sans Dieu, car seul le mystère pascal de Jésus-Christ donne la victoire sur les eaux sombres de la mort. La foi ne nous dispense pas des tribulations de la vie, mais elle permet de les traverser unis à Dieu dans le Christ, avec la grande espérance qui ne déçoit pas et dont le gage est l’amour que Dieu a répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint (cf. Rm 5, 1-5). 

Ne nous lassons pas d’éliminer le mal de notre vie. Que le jeûne corporel auquel nous appelle le Carême fortifie notre esprit pour lutter contre le péché. Ne nous lassons pas de demander pardon dans le sacrement de la pénitence et de la réconciliation, sachant que Dieu ne se fatigue pas de nous pardonner [3]. Ne nous lassons pas de lutter contre la concupiscence, cette fragilité qui nous pousse à l’égoïsme et à tout mal, trouvant au fil des siècles diverses voies permettant de plonger l’homme dans le péché (cf. Enc. Fratelli tutti, n. 166). L’une de ces voies est le risque d’addiction aux médias numériques, qui appauvrit les relations humaines. Le Carême est un temps propice pour contrer ces écueils et cultiver plutôt une communication humaine plus intégrale (cf. ibid., n. 43), faite de « vraies rencontres » ( ibid., n. 50), face à face.

Ne nous lassons pas de faire le bien dans la charité concrète envers notre prochain. Au cours de ce Carême, pratiquons l’aumône avec joie (cf. 2 Co 9, 7). Dieu « fournit la semence au semeur et le pain pour la nourriture » (2 Co  9, 10) pourvoit à chacun d’entre nous, non seulement pour que nous puissions avoir à manger, mais aussi pour que nous puissions faire preuve de générosité en faisant du bien aux autres. S’il est vrai que toute notre vie est un temps pour semer le bien, profitons particulièrement de ce Carême pour prendre soin de nos proches, pour nous rendre proches de ces frères et sœurs blessés sur le chemin de la vie (cf. Lc  10, 25-37).Le Carême est un temps propice pour rechercher, et non éviter, ceux qui sont dans le besoin ; appeler, et non ignorer, ceux qui désirent l’écoute et une bonne parole ; visiter, et non abandonner, ceux qui souffrent de la solitude. Mettons en pratique l’appel à faire du bien envers tous en prenant le temps d’aimer les plus petits et les sans défense, les abandonnés et les méprisés, celui qui est victime de discrimination et de marginalisation (cf. Enc. Fratelli tutti, n. 193).   

3. « Nous récolterons si nous ne perdons pas courage »
Le Carême nous rappelle chaque année que « le bien, comme l’amour également, la justice et la solidarité ne s’obtiennent pas une fois pour toutes ; il faut les conquérir chaque jour » (ibid., n. 11). Demandons donc à Dieu la patiente constance du cultivateur (cf. Jc 5, 7) pour ne pas renoncer à faire le bien, pas à pas. Que celui qui tombe tende la main au Père qui relève toujours. Que celui qui s’est perdu, trompé par les séductions du malin, ne tarde pas à retourner à lui qui « est riche en pardon » (Is 55, 7). En ce temps de conversion, trouvant appui dans la grâce de Dieu et dans la communion de l’Église, ne nous lassons pas de semer le bien. Le jeûne prépare le terrain, la prière l’irrigue, la charité le féconde. Nous avons la certitude dans la foi que « nous récolterons si nous ne perdons pas courage » et que, avec le don de la persévérance, nous obtiendrons les biens promis (cf. He 10, 36) pour notre propre salut et celui des autres (cf. 1 Tim 4, 16). Pratiquant l’amour fraternel envers tous, nous sommes unis au Christ, qui a donné sa vie pour nous (cf. 2 Co 5,14-15) et nous goûtons d’avance la joie du Royaume des Cieux, quand Dieu sera « tout en tous » (1 Co 15, 28).

Que la Vierge Marie, du sein de laquelle a germé le Sauveur, et qui gardait toutes les choses « et les méditait dans son cœur » (Lc 2, 19), nous obtienne le don de la patience et nous soit proche par sa présence maternelle, afin que ce temps de conversion porte des fruits de salut éternel.

Donné à Rome, près de Saint Jean de Latran, le 11 novembre 2021, Mémoire de Saint Martin, Evêque.

FRANÇOIS


[1] Cf. Saint Augustin , Serm. 243, 9,8 ; 270, 3 ; Fr. dans Ps. 110, 1. 

[2] Cf. Moment extraordinaire de prière en temps d’épidémie (27 mars 2020).

[3] Cf. Angélus du 17 mars 2013.

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Homélie du mercredi des Cendres:Jl 2, 12-18 ;2 Co 5, 20 – 6,2 ; Mt 6, 1-6.16-18

 Les trois textes que la liturgie nous propose donne bien le ton pour nous mettre en route en ce début de carême. Nous avons l’habitude de les entendre particulièrement en temps de Carême.
Comment les entendre aujourd’hui à nouveau frais et comme Bonne Nouvelle ? En me mettant en route comme vous aujourd’hui pour ce temps de Carême, je me vois habité par trois mots en lien avec les Écritures.

Le premier mot, c’est « conviction ». Oui, accepter de vivre le carême en se mettant en route tant sur le plan personnel que communautaire relève de la conviction que Jésus nous attend pour nous accompagner, pas à pas, dans notre cheminement et notre croissance tant spirituelle qu’humaine. Le prophète Joël , dans la première lecture, nous rappelle bien une parole du Seigneur : « Revenez à moi de tout votre coeur ». Revenez !

Ces deux dernières années ont été éprouvantes pour un grand nombre d’entre nous, pour ne pas dire, pour nous tous, à cause de toutes sortes de restrictions sanitaires entraînant alors des conséquences socio-économiques désastreuses sans oublier des dizaines de milliers de victimes du Covid de chez nous et d’ailleurs.

Certains d’entre nous ont peut-être pris l’habitude de rester à la maison le dimanche soit pour assister à la télé la messe dominicale ou pour se reposer un peu plus… Les conditions n’étaient pas toujours réunies pour nous mettre en route et venir célébrer en communauté soit en semaine ou en week-end. Ou alors, quelqu’un a dû vivre une grande épreuve dans sa vie et n’a plus la force de se tourner vers le Seigneur, croyant qu’il était abandonné par lui. Le Seigneur lui, vous dit et nous redit, « revenez à moi de votre coeur ». Soyez les bienvenus ce soir !Tel est un message de joie que nous pouvons entendre en ce début de Carême !

Le deuxième mot qui m’habite, c’est « conversion ». Il est toujours bon de se redire que la conversion n’est pas une question d’être en règle avec le Seigneur, comme si pour être bien vu par Lui, en faisant bien sa prière, en vivant bien le partage, fruit de jeûne et de privation ! Tout cela est bon, certes, mais je crois que le Seigneur nous attend aussi à un autre niveau. La conversion est plutôt une question d’être en route, en chemin, seul ou avec d’autres en vue de nous ajuster à la Parole de Dieu et de nous présenter tel que nous sommes en sa présence ; nous ajuster à sa Parole qui va transformer nos vies et nous permettre de nous ouvrir au monde et aux autres. Alors, accueillons cette parole du Seigneur de la bouche de St Paul dans la seconde lecture : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ».

Après l’invitation, « revenez à moi de tout votre cœur », nous recevons, une seconde invitation, voir un bel encouragement, « laissez-vous réconcilier avec Dieu ». Il ne nous est pas dit, « réconciliez-vous avec Dieu »’ mais bien, « laissez-vous réconcilier avec Dieu » !

Frères et soeurs, la Bonne Nouvelle pour nous aujourd’hui est aussi de savoir que c’est Dieu qui prend l’initiative de nous inviter à nous tourner vers lui et prendre le chemin de la conversion. Nous recevons l’invitation de lâcher prise pour ne pas croire que c’est nous qui allons contrôler les résultats de notre conversion… Voilà un appel à entendre, celui de nous abandonner entre les mains du Seigneur pour le laisser nous indiquer les pas à faire, les moyens à prendre en vue d’être réhabilité dans son amour miséricordieux, en vue de bâtir ou de rebâtir des ponts de paix là où les relations ont été et sont rompues, là où les blessures sont encore vives.

A notre niveau, nous pouvons nous sentir impuissants, si ce n’est que par la prière et des gestes de solidarité, en rapport avec la guerre déclarée en Ukraine où la violence se répand de jour en jour et conduit à la mort.

Cette situation nous renvoie à nous-mêmes pour nous rappeler que la violence peut être aussi en nous et s’exprime de différentes manières. Nous pouvons agir pour changer la situation avec la grâce de Dieu.

Nous nous souviendrons de la suite de la seconde lecture où St Paul rappelle aux Corinthiens comme à nous aujourd’hui, « En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. »

Enfin le troisième mot que je retiens en ce début de Carême, c’est « renouveau ». La liturgie nous invite dans un élan de renouveau à la prière, au jeûne et au partage pour changer nos comportements, pour quitter nos vieilles habitudes stériles et trop conformistes par moment et pour grandir dans la fraternité en actes. Nous pouvons aussi entendre ce renouveau dans la démarche synodale à laquelle nous sommes conviés.

Le psaume 50 nous dit bien dans quel esprit nous pouvons vivre ce temps de Carême : « Renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit…

Et nous à St-Fé, nous vous proposons de cheminer à travers le thème « Ensemble, de passage en passage, vers Pâques ».
Le renouveau que nous cherchons à vivre pourrait être symbolisé par ce « gué de pierres » comme tremplin pour avancer, de passage en passage, vers et avec le Christ, la « Pierre angulaire » sur laquelle nous désirons fonder durablement nos vies et « voir toute chose nouvelle en Christ ». Avançons de semaine en semaine pour découvrir ces « pierres » à partir des propositions de Carême et de ce que nous proposera la liturgie dominicale. Amen.

Steves Babooram, sj
St-Ferréol, le 2 mars 2022

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Homélie de Mgr Aveline: 2 février 2022

Chers amis,
soyez tous les bienvenus dans cette basilique de Saint-Victor. Ce matin, comme nous sommes heureux de pouvoir y être de nouveau, vous vous rappelez l’année dernière, lorsque nous étions à la cathédrale… Je vous salue tous, je vous salue tout particulièrement vous Monsieur le Maire, et vous Monsieur le Maire honoraire, ça nous plaisir à tous de vous voir l’un à côté de l’autre. Je salue tous les élus, les responsables civils et militaires, et tous ceux qui sont ici, dont les plus jeunes, beaucoup ont passé la nuit dehors, à prier, à marcher, elle est belle cette fête de la Chandeleur, elle est vraiment magnifique, surtout à Marseille !

Depuis hier soir, partout dans la ville et dans le diocèse, des petits groupes se sont réunis pour prier, chanter, marcher, dans le froid et dans le vent, fidèles à une longue tradition qui remonte au début du Ve siècle. L’homme par qui cette tradition a commencé s’appelait Jean Cassien. Son époque, comme la nôtre et comme bien d’autres, comportait son lot de troubles, de difficultés et d’incertitudes. Lui était né dans l’actuelle Roumanie, quelques années après la promulgation de l’édit de Milan, en 313, qui autorisait les chrétiens à vivre leur foi publiquement, à construire des églises et à s’organiser sans être inquiétés par les autorités de l’Empire. C’était une vraie révolution !

Car auparavant, depuis que quelques juifs de Palestine avaient suivi l’un des leurs, un certain Jésus qu’ils appelaient Christ et étaient ainsi devenus des chrétiens, les persécutions contre eux avaient été régulières et toujours plus violentes. À Marseille, ville où l’Évangile était très vite arrivé par la mer, porté par les amis les plus proches de Jésus, la famille de Lazare et de Marie-Madeleine, originaires de Béthanie, à Marseille donc, plusieurs chrétiens avaient été martyrisés lors de la persécution menée par l’empereur Dèce, en 250, puis lors de celle menée par Dioclétien cent ans plus tard. Les chrétiens de la ville, qui n’était guère plus grande que l’actuel quartier du Panier, avaient enterré les leurs dans un cimetière, de l’autre côté du Lacydon, là où nous nous trouvons ce matin. Et quand vous descendrez dans la crypte, vous pourrez voir ces tombes des premiers martyrs, en particulier celles de Fortunatus et Volusianus, morts vers 250. Elles sont là les tombes ! C’est là aussi que l’on avait déposé les restes de Victor, mort en 304. Les chrétiens de Marseille venaient prier en ce lieu vénéré, près des tombes des martyrs, comme on le faisait à Rome dans les catacombes. C’est là qu’ils prirent l’habitude de prier la Vierge Marie, sous le beau vocable de Notre-Dame de Confession des Martyrs, cette belle vierge noire qui veille toujours sur les racines profondes de la foi à Marseille et que l’on est allé chercher tout à l’heure à la crypte, pour qu’elle bénisse notre ville.

O Église de Marseille : n’oublie jamais que tu es une Église de martyrs, une Église fondée sur le sang des martyrs, qui fut, ici aussi, semence de chrétiens, comme l’affirmait Tertullien à Carthage, de l’autre côté de la mer. O Église de Marseille, n’aie pas peur aujourd’hui de risquer ta vie à cause de ta foi. Préfère toujours la fidélité à la compromission. Souviens-toi de ton passé glorieux et donne aux jeunes d’aujourd’hui, en quête d’idéal et d’authenticité, le goût d’être des témoins, le bonheur de confier à d’autres le trésor de l’Évangile. Et je sais qu’il y en a beaucoup, des jeunes, qui ne demandent que ça : trouver un sens à leur vie, une aventure à risquer, l’occasion de se dépasser, de se donner, d’aimer et de servir !
Cassien, lui, devait avoir 17 ou 18 ans lorsqu’avec un ami, qui s’appelait Germain, il décida de quitter sa Roumanie natale et de partir à la recherche d’une vie plus aventureuse, plus proche de l’idéal évangélique. Il n’y avait plus de persécutions et le risque, maintenant, c’était la tiédeur. Comme c’est aussi le cas pour nous, aujourd’hui. Mais la tiédeur n’a jamais fait rêver un cœur de vingt ans ! Les voilà donc sur les routes, Germain et Cassien ! D’abord vers Bethléem, là où Jésus était né. Ils y passent quelques temps, puis, intrigués par les propos que leur tiennent de jeunes ermites venus d’Égypte, ils vont voir ces nouveaux martyrs que sont les moines égyptiens, retirés du monde pour témoigner de Dieu, à l’école de saint Antoine et des Pères du désert. Là, pendant une quinzaine d’années, ils apprennent beaucoup de choses sur la vie, sur Dieu et sur eux-mêmes, dans la sobriété et la paix, dans les renoncements et l’humilité, dans la joie profonde d’un cœur simplifié. Tant de choses après lesquelles nous courons souvent, la sobriété, la paix et la simplicité du cœur. Ils avaient fui la tiédeur ; ils ont trouvé, dans le silence du désert et les exigences de la vie communautaire, la vive flamme d’amour qui brûle les cœurs et les fait rayonner du soleil de Dieu.

Puis, vers 400, ils se rendent à Constantinople, où Cassien est ordonné diacre par saint Jean Chrysostome, avant que celui-ci, faussement accusé, ne l’envoie à Rome, afin d’obtenir le soutien du pape Innocent, qui, du reste, ordonnera prêtre notre Cassien. Celui-ci se rend encore une fois à Antioche, à la demande du Pape, puis il est appelé en Provence, afin de soutenir le monachisme en train de naître, notamment sur l’île de Lérins, avant de venir à Marseille fonder deux monastères, l’un pour les hommes, tout près d’ici, l’autre pour les femmes, de l’autre côté du Vieux-Port, vers la place de Lenche. On est environ vers 415.

O Église de Marseille, n’oublie pas ce que tu dois à saint Jean Cassien ! C’est lui qui t’a aidé à respirer à pleins poumons l’air de la Méditerranée ! C’est lui qui de la Roumanie, de Bethléem, du désert d’Égypte, de Constantinople, de Rome et d’Antioche, a transporté jusque chez toi la grande tradition du christianisme d’Orient, pour que tu aides l’Occident à vivre de l’Évangile. Saint Martin, à Tours et à Ligugé, venait de commencer l’aventure monastique. Honorat le tentait aussi à Lérins. Mais c’est Cassien qui, le premier, installa la vie monastique en pleine ville et qui, par ses écrits, inspira, un siècle plus tard, celui qui allait devenir saint Benoît, père des moines d’Occident et aujourd’hui patron de l’Europe !

O Église de Marseille, n’oublie pas que tu te tiens là, à Saint-Victor, entre Cassien et Benoît, entre cassianites et bénédictins, entre l’héritage méditerranéen et le projet européen. Aujourd’hui rien n’a perdu de cette actualité, c’est ta place comme ville, et c’est aussi ta place comme église. Alors ne sois pas tiède ! Laisse ton cœur brûler d’amour pour Dieu et pour tes frères de toutes cultures dans cette ville métissée. Souviens-toi que tu n’as pas inventé l’Évangile : tu l’as reçu d’Orient, comme ce matin sur le Vieux-Port, non pour le garder pour toi, mais pour le confier au monde, avec respect et dans l’amitié. Ce matin nous sommes arrivés en bateau avec l’Evangéliaire, rassurez-vous nous ne sommes pas partis de trop loin, vu la situation météorologique. Pour la première fois, au lieu de partir de l’Estaque, on est parti d’un peu plus loin que la mairie, mais nous sommes quand même arrivés en bateau ! Et là nous avons accueilli l’Evangile, nous avons réentendu ces paroles de Jésus si simples qu’elles ont fait leur chemin à travers des générations : je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis, vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande, ce que je vous commande c’est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimé. Nous avons réentendu ces paroles de Jésus : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde, vous êtes le levain dans la pâte. Nous l’avons réentendu dire à la femme adultère, personne ne t’a condamné, moi non plus je ne te condamne pas, va et désormais ne pêche plus. Nous l’avons réentendu dire à la Samaritaine, si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui lui aurait demandé à boire, c’est toi qui lui aurait demandé de l’eau vive, nous l’avons entendu nous redire ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisi pour que vous alliez, pour que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. Nous l’avons réentendu redire allez de toutes les nations faites des disciples, nous l’avons réentendu nous redire tout cela, et ces paroles simples, qui ont traversé les générations, voici que ce matin encore, arrivées en bateau sur le Vieux-Port, elles ont retenti à nos oreilles.
Et c’est Cassien qui, ayant participé à Bethléem et en Égypte à cette grande fête de la Chandeleur, encore inconnue en Occident, l’introduisit à Marseille, avant même qu’elle ne soit généralisée à toute l’Église par le pape Gélase à partir de la fin du Ve siècle. Là encore, si j’ose dire, nous sommes à jamais les premiers ! Quelle longue tradition, chers amis ! Comme on se sent petits, au rappel de tant de siècles. Quel bel héritage remis entre nos mains, pour que nous le fassions fructifier aujourd’hui, sans tiédeur et sans orgueil. Même aux heures les plus sombres et les plus difficiles de son histoire, Marseille n’a jamais manqué d’être fidèle à sa Chandeleur. Même en 1794, sous la Terreur, lorsqu’il fallut aller prier de nuit à la Grotte Crispine, au-dessus de l’Estaque dans les collines de la Nerthe. Même l’année dernière, en pleine pandémie, lorsqu’il fallut aller à la Cathédrale pour respecter les distances imposées. C’est que la foi, quoi qu’on en dise, ne s’éteint pas. Hier soir, j’étais avec des étudiants et des jeunes professionnels à Saint-Ferréol, où ils ont passé la nuit en prière pour préparer leur cœur à la rencontre de ce matin. Tout à l’heure, j’ai rejoint ceux qui avaient passé la nuit à l’Estaque, pour accoster avec eux sur le Vieux-Port, où de nombreux groupes sont arrivés à pied, après avoir dévalé pendant la nuit les rues de la ville pour être là, présents à cette nouvelle rencontre de l’Évangile avec notre cité et tout notre diocèse.

Car la Chandeleur, chers amis, c’est la fête de la rencontre, l’Hypapantè, selon le nom que lui donnaient les chrétiens d’Orient. Rencontre du Seigneur Jésus avec son peuple, que représentent, devant le Temple, Syméon et Anne, porteurs de toute l’attente d’Israël depuis la promesse faite à Abraham : « en toi seront bénies toutes les nations de la terre ». La promesse faite à Abraham n’est pas pour le petit clan d’Israël, c’est pour toutes les nations, la promesse faite à Abraham n’est pas pour assurer la survie d’un petit peuple, c’est pour que toute l’humanité ait accès au trésor de l’amour de Dieu. C’est cette promesse encore qui résonne à nos oreilles.
Et voilà qu’au soir de sa vie, Syméon, poussé par l’Esprit jusqu’au Temple, voit enfin ce salut de Dieu qu’il a tant espéré. Il prend l’enfant dans ses bras et il s’écrie ce que les chrétiens, les religieux, les moines, les prêtres et beaucoup de laïcs disent chaque soir à l’office des complies : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix selon ta Parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu as préparé à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël ».

Toi qui es venu ce matin à Saint-Victor, écoute la voix du Seigneur et prête l’oreille de ton cœur. Offre-lui ton hospitalité. Accepte son amitié. Laisse-toi guider, comme Syméon et Anne, par le désir de ton cœur habité par l’Esprit. Viens puiser à la source des martyrs de Marseille. Notre-Dame est là, tout à côté, pour écouter ton espérance et te confier son Fils, comme jadis elle l’avait remis entre les bras de Syméon. Amen !

+ Jean-Marc Aveline
02 février 2022

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