La liturgie nous propose ce dimanche une troisième épiphanie : après la visite des mages et le baptême du Christ, voici le récit des noces de Cana. C’est un évangile particulièrement riche qui débute le chapitre 2 de l’évangile et le ministère de Jésus, après l’appel des disciples qui clôture le premier. C’est la seule scène de mariage de tout le Nouveau Testament. Le texte nous dit que Jésus était avec ses disciples à une noce à Cana en Galilée, à deux heures de marche de Nazareth.
Marie, la mère de Jésus, était là aussi. Elle intercède auprès de son fils, car voilà qu’on manqua de vin. Jésus répond : “ Femme que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue“. Il y a 3 semaines, nous avions lu l’histoire de Jésus qui avait fugué à douze ans : il était resté au temple. La vie de la sainte famille n’est pas un long fleuve tranquille. Jésus ne ménage pas sa mère. En fait, nous avons dans notre texte le premier exemple l’ironie johannique, un quiproquo provoqué par le fait que Jésus se situe à un niveau différent de son interlocuteur, qui souvent ne comprend pas, niveau auquel Jésus à travers Jean, veut entrainer surtout le lecteur. Il sait dès le début ce qu’il va lui arriver, alors que son interlocuteur reste à un niveau plus immédiat et souvent plus matériel. Marie ne comprend pas, pas encore, mais Luc nous dit qu’elle garde et médite ces événements dans son cœur ; elle les laisse mûrir…Chez Jean aussi, elle fait confiance et répond aux serviteurs : “tout ce qu’il vous dira, faites-le“. Quel magnifique exemple pour nous. Oui, parfois, je ne comprends pas ce que Seigneur fait avec moi, dans ma vie, je ne comprends pas ses voies, mais je fais confiance. C’est cela la foi.
Chez Jean, dès le début, Jésus est entièrement tourné vers l’heure où il sera glorifié sur la croix. Dans le récit que nous venons d’entendre et pour la première fois, il parle de son heure : “mon heure n’est pas encore venue“. L’heure où il sera glorifié, c’est lors de la dernière cène et lors de sa passion : « Jésus, sachant que son heure était venue… » (13, 1). Sur la croix, le mystère annoncé s’accomplit : la mort et la résurrection du Christ. Quand Jésus sur la croix remet l’esprit, il fonde l’Église et lui donne les sacrements : “de son côté ouvert“, nous dit Saint Jean à la fin du chapitre 19, “coula le sang et l’eau (…) celui qui a vu a rendu témoignage“. L’eau du baptême et le sang de l’Eucharistie. C’est très fort ! Et si on revient à notre texte, l’eau et le vin des noces font clairement référence au baptême et à l’Eucharistie ! La fin de l’Évangile, son accomplissement, est annoncé dès le début : nous avons bien affaire à une épiphanie, à une manifestation de Dieu à travers le signe de Cana.
Jean nous dit qu’il y avait là six jarres de pierre qui servaient pour les ablutions, chacune contenant environ 100 litres environ ! Nous sommes dans l’abondance, dans la démesure. Ce n’est certes pas un petit mariage : tout le village était là et même ceux qui n’étaient pas invités l’étaient quand ils venaient. Et la honte pour le maître du mariage, c’était de tomber à court de vin ou de nourriture. Jésus dit alors à ceux qui servaient de remplir les jarres d’eau. Mais à l’époque, il n’y avait pas d’arrivée d’eau dans les maisons, il fallait aller au puits. Et pour obtenir 600 litres, il fallait faire pas mal de voyage, même avec beaucoup de serviteurs. Mais, si nous réfléchissons, nous aussi, nous avons à contribuer, comme les serviteurs, à la réussite de la noce, de la fête du Seigneur. Pour célébrer l’Eucharistie, nous amenons le pain et le vin, cela reste peu de choses en comparaison du don que le Seigneur nous fait : il nous donne en échange son corps et son sang. Dieu a voulu avoir besoin de nous, ses serviteurs, pour remplir d’eau les jarres jusqu’au bord. Et il y a du travail pour tous si nous voulons les remplir à ras-bord.
“Portez-en au maître du repas“ ordonne Jésus. Les serviteurs lui en apportèrent. Curieusement, les serviteurs ne posent pas de question sur l’origine du vin, ils ne disent pas : “mais attends, c’est quoi cette histoire ? On cherche de l’eau, mais c’est de vin qu’il manque“ et le maître de la noce ne s’étonne pas non plus. Et Jean, pas plus que les autres évangélistes d’ailleurs, ne parle de miracles. Rien de spectaculaire ici. Non, désolé, Jésus n’est pas un magicien. Il ne fait pas de tour de prestidigitation. Le signe que nous laisse Jésus est inouï. Le maître étonné appelle le marié et lui dit : “tout le monde sert le bon vin en premier et lorsque les gens ont bien bu on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant“. Le bon vin, c’est le Christ lui-même.
L’eau du baptême et le vin de l’eucharistie. L’eau n’a pas de goût, mais elle est nécessaire pour vivre. C’est le fondement : sans eau il n’y a pas de vie. Or les jarres contenaient l’eau pour les ablutions, pour les purifications, nous dit Jean. C’est une allusion sans ambiguïté au baptême qui est une purification qui fait de nous des saints et nous fait entrer dans l’Église. L’eau est vitale. En revanche, le vin n’est pas vital, il est d’un autre ordre et il est important pour la fête : il rassemble les convives autour du repas où ils échangent et partagent en formant un seul corps. Par le repas de l’Eucharistie, nous participons à la vie divine, à la noce, au banquet éternel. “Au commencement était le verbe, le verbe était auprès de Dieu et le verbe était Dieu“ disait Jean au début de son prologue. Ce mystère est décliné de manière différente ici : au commencement de la vie chrétienne, il y a le baptême, la purification, l’entrée dans l’Église et au centre et au terme de la vie chrétienne, il y a les noces qui préfigurent la vie éternelle !
“Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit“, conclut le texte. Que souhaiter en ce début d’année, que souhaiter pour cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, si ce n’est que nos rencontres soient une fête, que nos assemblées soient une fête ! Rendons grâce à Dieu d’être des vivants, rendons grâce à Dieu qui nous a rassemblés par notre baptême et rendons surtout grâce à Dieu qui se donne à nous dans son Eucharistie pour célébrer la joie qui ne finit pas. Amen