« La vie en nous »
Vivre la solennité du Saint-Sacrement après un confinement privé d’eucharistie n’est pas banal. Et il serait dommage que le retour des messes fasse oublier ce que nous avons vécu durant ce jeûne eucharistique forcé. Bien évidemment, chacun d’entre nous n’a pas vécu la même expérience durant le confinement. Nos situations familiales, économiques, sociales, spirituelles sont trop diverses. Cela dit, cette diversité d’expérience n’empêche pas de tirer quelques enseignements valables pour tous à l’écoute de la Parole de Dieu que l’Église nous fait entendre ce dimanche.
Premier enseignement : « Souviens-toi ». A l’époque le peuple était sur le point d’entrer en Terre Promis ; la vie allait reprendre son cours après la traversée de la Mer Rouge et la longue marche dans le désert (40 ans : un confinement encore plus long que le nôtre). Le risque du Peuple était d’oublier ce qu’il avait expérimenté au désert et l’enseignement reçu durant la longue marche. Et quel est cet enseignement ? Moïse le rappelle : « Le Seigneur t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » Nous, pendant le confinement, nous n’avons pas eu de manne. Mais la faim eucharistique que nous avons endurée nous a rappelé cet enseignement du Seigneur : « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur », autrement dit l’homme vit aussi, pour ne pas dire « d’abord », de la Parole de Dieu. Dans le diocèse de Marseille, beaucoup de chrétiens ont redécouvert combien la Parole de Dieu pouvait leur parler. Avec « Prions en Église » ou « Magnificat », avec Internet, « Prie en chemin », « Vers Dimanche » ou autre, seul ou en famille ou encore avec des amis, par téléphone, par visioconférence… beaucoup ont redécouvert combien la Parole de Dieu parle et donne envie de parler à Dieu. Nous ne vivons pas seulement de pain, fût-il eucharistique, mais de la Parole de Dieu. Le Concile Vatican II avait bien compris cet enseignement biblique en réformant la liturgie de la messe. Il a institué deux tables, celle de la Parole, et celle du Repas. Que le retour au pain de l’eucharistie ne nous détourne pas de l’écoute de la Parole de Dieu. « N’oublie pas ».
Le deuxième enseignement est donné par saint Paul : « Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps. » Dans notre diocèse, mais partout en France, nous avons assisté à un grand élan de générosité et de solidarité. Privés de communion au corps du Christ, beaucoup de chrétiens ont continué de communier en affrontant la souffrance de ceux qui n’avaient plus rien à manger, ou qui n’avaient plus de lieu où dormir ou tout simplement se soulager. Notre archevêque a nommé un délégué à la solidarité, Charles-Henri Garié. Il a fait un admirable travail de mise en relation. Oui, « la multitude que nous sommes est un seul corps ». Bien portants et malades, rassasiés et affamés, à l’abri et sans abri : tous, nous sommes un seul corps. Cette communion en actes avec les plus fragiles se poursuit heureusement aujourd’hui – notre expresso du dimanche matin à Saint-Ferréol en est un modeste exemple. Maintenant que nous pouvons avec joie communier au Christ Ressuscité sous la forme du pain, puissions-nous vivre avec la même joie cet autre communion avec le Ressuscité : sortir et guérir les blessures d’un monde brisé. « Nous sommes un seul corps. »
Le troisième et dernier enseignement est donné par Jésus lui-même : « Moi, je suis le pain vivant : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. » Pendant le confinement, beaucoup sont morts. Beaucoup n’ont pas pu honorer leurs morts et témoigner de la vie éternelle. Et cela continue dans de nombreux pays. Pendant le confinement, beaucoup de personnes âgées ont été isolées sans bien comprendre ce qui se passait et pourquoi elles ne pouvaient plus voir leurs proches. Par trop grande protection de la vie, nous avons parfois facilité la mort. D’une promesse de vie éternelle, nous sommes tombés dans l’angoisse d’une mort que nous pouvions croire, ou nous faire croire, éternelle. Quelle angoisse ! Il nous appartient que cela ne se reproduise plus. Comment ? En laissant le pain vivant que nous allons manger faire de nous des vivants, dès maintenant. Ne l’oublions pas, nous avons la vie en nous. Avec ou sans virus, nous avons la vie en nous.
Thierry Lamboley