Homélie du 2ème dimanche de l’avent – Année C – 8 décembre 2024

Les textes que nous propose la liturgie aujourd’hui s’enrichissent mutuellement. J’en relèverait chaque fois un aspect, une facette.

Le livre de Baruch est peu connu. Il a été écrit en grec vers l’an 100 avant Jésus-Christ. Le rédacteur reprend le nom du scribe du prophète Jérémie, même si c’est surtout Isaïe qu’il cite ; on pourrait même dire qu’il le copie allègrement. Aujourd’hui on appellerait cela du plagiat, mais ce n’était pas comme cela qu’on voyait les choses à l’époque : les auteurs des textes sacrés se référaient souvent à d’éminents prophètes ou rédacteurs de récits bibliques passés pour parler d’une situation contemporaine. En l’occurrence, Baruch fait référence à l’époque d’Isaïe et de Jérémie, au temps de l’exil du peuple d’Israël à Babylone, au 6ème siècle av. J-Ch, pour faire un parallèle avec la situation de son époque, cinq siècles plus tard, période pendant laquelle le peuple juif, sous la domination grecque, vivait éclaté, en diaspora. Le peuple dispersé désespérait de voir les promesses de Dieu s’accomplir. Baruch revient alors aux prophéties d’Isaïe pour lui redonner courage : “mais si, le Seigneur va tenir ses promesses, il l’a fait lors de l’exil au temps d’Isaïe et il le fera aussi pour vous. Vous allez revenir en Terre Sainte, il ramènera son peuple qui sera porté en triomphe. Alors, peuple exilé, peuple de la diaspora, « quitte ta robe de tristesse », réjouis-toi et prépare-toi à ce grand retour“. Nous aussi, dans des moments de difficultés, nous pouvons reprendre à notre compte la promesse de Dieu pour reprendre courage et force. Nous aussi, nous serons revêtus de la parure de la gloire de Dieu. C’est fort ! Nous sommes appelés à être des témoins de l’espérance et à restaurer la paix dans un monde marqué par la violence, la haine et l’égoïsme.

Le psaume 125 nous aide d’ailleurs à relever la tête. Reprenons juste l’image finale :

Il s’en va, il s’en va en pleurant ; il jette la semence,

Il s’en vient, il s’en vient dans la joie ; il rapporte les gerbes.

Parfois nous semons mais nous n’en voyons pas les fruits, parce que c’est l’hiver, un hiver qui peut, c’est vrai, durer longtemps. Nous ne voyons pas le grain pousser. Et pourtant la moisson attendue viendra, promesse du Seigneur. Alors oui, nous moissonnerons dans la joie. N’hésitons pas à répéter ces versets quand nous sommes “dans le dur“.

La deuxième lecture est extraite de la lettre que Saint Paul a écrite à la communauté de Philippe, une communauté qu’il avait fondée avec Luc et Silas, une communauté qu’il aimait beaucoup ; il y est d’ailleurs resté longtemps. Il écrit de sa prison avec émotion et reconnaissance : “à tout moment, chaque fois que je prie pour vous tous, c’est avec joie que je le fais, à cause de votre communion avec moi dès le premier jour jusqu’à maintenant, pour l’annonce de l’évangile. Et j’en suis persuadé, Celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’au jusqu’à son achèvement, le jour où viendra le Christ Jésus“. C’est magnifique ! Et si c’était Dieu qui, à travers Paul, nous adresse sa joie, qui se réjouit pour nous parce que nous tenons dans la foi et nous essayons, humblement certes, d’être des témoins de l’espérance, des restaurateurs de la paix. La communauté chrétienne peut-être dispersée, en exil ou en guerre, mais elle reste ferme dans la foi. On pense aux chrétiens du Proche-Orient, qui voient tout s’effondrer autour d’eux. Aujourd’hui, ils lisent, au moins ceux qui sont de rite latin, les mêmes lectures que nous. La prière que fait Paul leur adresse et nous adresse aussi est pleine de souffle : “ je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui est important“.

Apprendre à discerner, l’évangile nous en donne un bel exemple. Le contraste entre les deux parties de cet évangile est frappant : Il y a le début solennel : la 15ème année du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate est en gouverneur de Judée… Tiens, Pilate on le connaît ! Luc n’annoncerait-il pas déjà la passion de Jésus ? Il cite aussi les grands prêtres Hanne et Caïphe, autre allusion à la passion du Christ ! La Judée était à l’époque particulièrement rebelle, c’est pourquoi l’empereur romain y a nommé directement son représentant, Ponce Pilate, qui la dirige d’une main de fer. Autour de lui, il y avait des roitelets, des vassaux de l’empire. Hérode était de ceux-là. Il ne s’agit pas ici bien-sûr d’Hérode le grand, mort en -4, mais d’Hérode Antipas, son fils, qui régnait sur la Galilée. C’est lui, roi ubuesque, qui va emprisonner Jean-Baptiste et le faire décapiter à cause d’une promesse stupide. Luc cite aussi Philippe, le frère d’Hérode Antipas, et un autre roitelet. Ils règnent sur trois territoires voisins, préfigurant l’ouverture du Royaume de Dieu aux nations, c’est-à-dire aux non juifs. Cette première partie est également intéressante au niveau historique, puisqu’elle nous permet de dater le début de la mission de Jésus très probablement en l’an 29.

Mais le contraste est flagrant entre la solennité de l’énumération de tous ces dirigeants et la deuxième partie du texte, toute en humilité, en simplicité qui nous parle de Jean, fils de Zacharie, auquel Dieu adresse la parole, c’est-à-dire littéralement qu’il en fait son prophète. Jean prend ses quartiers au bord du Jourdain. De nos jours ce n’est plus qu’un ruisseau, mais c’était le fleuve qu’avait franchi le peuple d’Israël pour rentrer dans la Terre Promise. Conversion : le mot est fort, il signifie un changement de cap pour prendre une autre direction.. Par le baptême de conversion -le mot est fort, il signifie un changement de cap pour prendre une autre direction-, Jean fait revenir les juifs qui l’écoutent à ce temps d’avant l’entrée en Terre Promise, afin qu’ils se rappellent que le Seigneur accomplit sa promesse. Mais ne nous dit-il pas à nous aussi aujourd’hui : “rappelle-toi ton baptême, souviens-toi de ce que le Seigneur a fait pour toi. Toi aussi, tu as une mission“. Jean est cette voix qui crie dans le désert, nous dit Luc, citant Isaïe. Qui donc écoute dans le désert ? Jean lance-t-il des bouteilles à la mer ? Pourtant, il semble bien que des foules allaient l’écouter et se faire baptiser. Luc renvoie comme Baruch à la prophétie d’Isaïe : “Une voix crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers“. En d’autres termes, ne soyez pas tordus ! Jean, lui, était un homme direct, un homme vrai. Il était peut-être sans nuance comme beaucoup de prophètes, mais sa parole et ses actes étaient en parfait accord. Nous sommes aussi appelés à être authentiques, à rendre les sentiers droits, à abaisser les collines d’orgueil qui nous habitent pour valoriser ce qui est humble. A la suite de Jean, nous sommes invités à combler les ravins de l’injustice et de la guerre. Le Seigneur tracera une route droite, mais nous avons chacun notre rôle à jouer pour que le Règne de Dieu vienne. A nous de restaurer la paix autour de nous, dans nos foyers, nos écoles ou nos lieux de travail, et partout où nous sommes engagés. Alors nous verrons la promesse de Dieu s’accomplir et nous pourrons chanter Noël.