Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui, avec toute l’Eglise, nous fêtons la Présentation de Jésus au Temple. Et pour nous, à Marseille, cette fête liturgique est l’occasion d’un rendez-vous matinal avec les racines de notre foi. Année après année, jeunes et adultes, nous venons ici des quatre coins du diocèse, comme pour ajouter un nouveau maillon à la longue chaîne qui remonte jusqu’à la foi des premiers chrétiens de cette ville, réunis en ce lieu autour de leurs martyrs. Et de ce berceau de notre Église de Marseille que sont les cryptes de cette basilique, chacun repartira tout à l’heure avec un peu de lumière pour éclairer sa vie et orienter ses pas.
En Orient, vous le savez, on appelle cette fête : « fête de la Rencontre », car il s’agit bien, sous la plume de saint Luc, de signifier la rencontre entre le Seigneur qui vient et le peuple des croyants qui l’attendent, peuple représenté ici par Syméon et Anne. Marie, lors de la Visitation, avait déjà conduit l’enfant qu’elle portait en elle à la rencontre de celui qui deviendrait Jean-Baptiste et se trouvait encore dans le sein d’Élisabeth. Et de cette rencontre, avant même la naissance du Christ, avait jailli le Magnificat, après que Marie eut entendu Élisabeth se demander : « comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » Et maintenant, quarante jours après sa naissance, voici que Jésus est porté jusqu’au Temple, dans les bras de ses parents, à la rencontre de son peuple, représenté par Syméon et Anne. Et comme le Magnificat avait jailli du cœur de Marie après la Visitation, le Nunc dimittis jaillit du cœur de Syméon quand il reçoit dans ses bras le petit enfant Jésus : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole ».
Ce matin, si vous le voulez bien, contemplons ce beau geste par lequel la Vierge Marie, venue présenter son enfant au Seigneur, l’offre à son peuple. Une mère ne donne pas facilement son enfant aux bras d’un inconnu. D’autant que Syméon et Marie ne se ressemblent guère. Un homme et une femme, un habitant de Jérusalem et une fille de Galilée ; le grand âge et la jeunesse ; la longue attente d’un juste, à qui l’Esprit a soufflé à l’oreille qu’il verrait l’auteur de la vie avant de s’en aller dans la mort, et une jeune fille qui va de surprise en surprise, gardant tout dans son cœur sans savoir où le vent de l’Esprit va les conduire, elle, son mari et son fils. Que sera désormais sa vie, cette vie qu’elle a placée elle-même au service du Seigneur, abandonnée entre ses mains : « voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole », avait-elle répondu à l’ange de l’Annonciation ? Et là, sur le seuil du Temple, Syméon avertit la jeune mère que son fils, ce petit enfant qu’il serre avec tendresse non seulement dans ses bras, mais, selon le mot grec que Luc utilise ici, dans « le creux de ses bras » (eis tas agkalas), sera aussi un signe de contradiction.
L’Église, chers amis, ne s’y est pas trompée qui, en nous invitant à prier, chaque soir, à l’office des Complies avec les paroles du vieillard Syméon, nous apprend à nous préparer, au soir de chacune de nos journées, à la grande rencontre au soir de notre vie. Car au fond, qu’est-ce qu’une vie, quand on y réfléchit bien, sinon le temps que Dieu nous donne pour nous préparer à sa rencontre ? On peut vivre longtemps sans penser à ce qu’est la vie. Pourtant, une vie, ce n’est qu’un peu de temps qu’on a devant soi et qui s’écoule jour après jour, parfois heureux, parfois douloureux, parfois dans l’inquiétude, parfois dans l’insouciance. Nul ne sait quelle sera la durée de ce temps, mais ce que l’on sait, c’est qu’au soir de notre vie, c’est sur l’amour, et seulement sur l’amour, que nous serons jugés. Pas sur nos convictions philosophiques ni même nos appartenances religieuses, mais sur l’amour. La densité d’une vie, c’est son poids d’amour. Saint Jean ne s’y est pas trompé, qui écrivait, au soir du lavement des pieds, juste avant que le Christ n’entre dans sa Passion : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Et il notait, un peu plus loin, ces paroles du Christ : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
Toi qui es venu à Saint-Victor ce matin, n’oublie pas qu’en dessous de cette basilique, il y a les cryptes où reposent les martyrs de Marseille, celles et ceux qui, par amour du Christ, n’ont pas craint le glaive de la persécution, comme Syméon en avait averti Marie, la mère des croyants. Toi qui est venu prier avec les chrétiens d’aujourd’hui, de toutes générations, n’oublie pas la joie et la tendresse de Marie, sa force aussi, sa présence fidèle et maternelle. Regarde Syméon et Anne : ils sont vieux, mais dans leur cœur, ils ont l’âge de leur espérance, et l’espérance renouvelle sans cesse la disponibilité à la rencontre. Espérance qui peut être subversive lorsqu’il s’agit de ne laisser personne sur le bord du chemin. Médite ce que nos anciens de Marseille, avaient compris, dès le début du Ve siècle, avant même que l’Église universelle ne l’affirme au Concile d’Éphèse en 431, à savoir que Marie est la Theotokos, la mère de Dieu, comme l’indique la dédicace du monastère cassianite, à partir duquel fut bâtie cette abbaye. Oui, depuis que saint Jean Cassien a ramené d’Orient la tradition de la fête de la Chandeleur, les Marseillais se sont attachés à la Vierge Marie, cette jeune femme fragile et courageuse, attentive et fidèle, celle qui écoute nos peines et nous redonne l’espérance, celle qui n’a pas craint de donner son Fils au monde, d’abord en laissant Syméon le recueillir au creux de ses bras, puis en se tenant près de lui, au pied de la Croix, jusqu’à le recueillir elle-même, Pieta si émouvante, dans ses propres bras, pour que, par ce Fils, le monde soit sauvé.
Comme il est grand le mystère de ce Dieu qui accepte de se laisser prendre par un pauvre vieillard dans le creux de ses bras ! Comme il est grand le mystère de ce Dieu tout puissant qui accepte de prendre du temps pour grandir en taille et en sagesse sous le regard attendri d’un jeune couple ! Permettez-moi de remarquer encore une dernière chose. C’est que cette rencontre au Temple, une rencontre pleine de joie, d’espérance et de tendresse, est aussi une rencontre qui appelle au courage. Et il nous en faut tout particulièrement aujourd’hui. Nous aussi, nous devons parfois être des signes de contradiction. Je pense aux paroles fortes du Pape François au Congo hier avant de se rendre au Soudan. Je pense à la résistance héroïque des chrétiens d’Arménie. Je pense à la foi du peuple ukrainien. Et pour la France, je ne vous cache pas mon inquiétude par rapport aux projets de révision des lois de bioéthique sur la fin de vie, ou encore quand certaines idéologies tentent de diviser la famille humaine en distillant des messages de haine et de repli sur soi. Ne rêvons pas d’un christianisme bisounours et tranquille, qui se contenterait de faire de belles liturgies comme celle de ce matin, mais qui ne comporterait aucun engagement dans la société. Je pense aux adolescents de nos quartiers, que l’oisiveté et bien d’autres causes, qui souvent ne dépendent pas d’eux, maintiennent enfermés dans les réseaux de la drogue, avec leurs déchaînements de violences et leur mépris des vies humaines lorsqu’il s’agit d’augmenter leurs gains. Ce matin, prions pour tous les Marseillais, que la Mère de Dieu est venue visiter et bénir, sur les bords du Lacydon et du haut de la colline de la Garde. Prions pour la ville et pour tout le diocèse.
Chers jeunes, vous avez marché dans la nuit. Mais trouver le Vieux Port ou l’abbaye Saint-Victor, même de nuit, ce n’est pas trop compliqué ! En revanche, s’orienter dans la vie est souvent plus difficile. Emportez donc, si vous le voulez bien, cette petite boussole évangélique qui vous permettra de retrouver les balises d’un chemin de foi : la joie, l’espérance, la tendresse et le courage. Et permettez que je vous donne un dernier conseil : si vous le pouvez, revenez dans la semaine, quand vous aurez bien dormi. Revenez et regardez le peuple de Marseille qui va défiler dans cette basilique à la rencontre de son Seigneur. Emboîtez le pas de l’Église. Venez en pèlerins : le Christ vous attend ! Prenez-le, comme Syméon, dans le creux de vos bras et laissez-le vous guider au chemin de l’amour.
Amen !
+ Jean-Marc Aveline
Jeudi 2 février 2023