C’est bien là un grand mystère. Comment se fait-il que tout ne se soit pas écroulé au moment de la mort de Jésus ? Ce sont les mêmes personnes, écrasées alors par les ténèbres – comme nous aujourd’hui – qui nous ont transmis la foi jusqu’à maintenant ! Les ténèbres des armes, de la trahison, du pouvoir de l’argent, des alliances douteuses, du sadisme. Comme aujourd’hui. Et dans ces ténèbres, on trouve une aide pour porter la croix, un compagnon d ’infortune, un militaire touché au cœur, des femmes seules attentives, un autre Joseph qui accomplit les gestes justes. Comme nous aujourd’hui. Sœurs et frères, de quel côté allons-nous nous situer ? du côté des ténèbres ou du côté des humbles attentions d’amour ? Personne n’a réagi comme Jésus devant la violence. Aucune amertume, aucune envie de vengeance, aucune menace ! C’est pour cela que personne ne peut récupérer Jésus à son profit. Jésus n’est inutilisable ni par Satan qui aurait bien voulu le faire chuter pour conforter son pouvoir, ni par Hérode qui aurait voulu faire de Jésus un magicien pour son propre plaisir. Oui, Jésus seul sur la croix vient nous visiter dans nos propres isolements. La mort du Christ est le degré inouï de la gratuité et de l’amour. C’est ce que nous attendons et espérons au fond de nous-mêmes. Dieu en nous créant a mis en nous ce désir. Si Dieu est amour, il est forcément humble. Dans cette passion, Dieu est solitude et communion. Comme nous.
L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille, une vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu. Et voici qu’Élisabeth, ta cousine, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait : ‘la femme stérile’. Car rien n’est impossible à Dieu. » Marie dit alors : « Je suis la servante du Seigneur, que tout m’advienne selon ta parole » Alors l’ange la quitta Luc 1
« Scandale » est un mot issu du latin scandalum, littéralement « ce qui est occasion de chute, ce qui fait trébucher ». La question qui est posée à Jésus dans le texte d’évangile que nous venons d’entendre en ce 3ème dimanche de carême, est littéralement scandaleuse. Elle l’était tout autant du temps de Jésus qu’aujourd’hui. La souffrance de l’innocent massacré par un Pilate sans scrupule et sans trace d’humanité est insupportable, hier comme aujourd’hui. Comment Dieu peut-il permettre cela, surtout s’il est tout-puissant ? Dans ce premier cas, il s’agit d’un comportement sans scrupule d’un homme, mais Jésus cite un deuxième exemple encore plus scandaleux : des personnes victimes d’accidents -comme l’effondrement de la tour de Siloé- ou de phénomènes naturels pour lesquels personne n’y peut rien. Et Dieu ? Comment ne pas crier au ciel comme Job et sommer Dieu de répondre ? Comment parfois ne pas douter de son action dans le monde voire de son existence ? La souffrance de l’innocent était et reste aujourd’hui encore la principale pierre d’achoppement de la foi et c’est bien compréhensible.
En ce troisième dimanche de carême, nous faisons mémoire des victimes d’agressions sexuelles et d’abus spirituels dans l’Église, de ces enfants dont l’innocence a été brisée par des hommes vêtus comme moi aujourd’hui d’une aube blanche ou encore d’une soutane noire, d’un col romain ou arborant plus discrètement la croix du Christ. La souffrance de ces innocents qui avaient mis leur foi en ces anges qui se sont révélés être des démons, des briseurs d’enfance, est insoutenable ! Comment ne pas crier vers Dieu quand des hommes soi-disant envoyés par lui pour témoigner de son amour, ont abattu d’un coup de pied la tour de rêves et de projets que faisaient les enfants ? C’est à vomir !
Et même si nous ne sommes pas en Ukraine ou que nous n’avons pas été victimes d’agressions sexuelles au sein de l’Église, sans doute avons-nous vécu des moments de violence, des moments où nous n’avons pas été écoutés, compris, encouragées ou aimés. Sans doute nous sommes-nous déjà sentis méprisés, sans doute avons-nous connu des moments où la tour des rêves auxquels nous tenions s’est effondrée. Et Jésus ne semble pas répondre à la question de cette souffrance. Il rejette certes, comme le Dieu de Job, une théologie de la rétribution qui voudrait que si l’homme souffre, c’est d’une certaine façon parce qu’il a fauté, même s’il n’en est pas toujours conscient. Et si ce n’est pas lui, ce sont ses parents ou ses grands-parents. Cette théologie, courante au temps de Jésus, a encore la dent dure aujourd’hui, dans notre société, y compris sous des formes sécularisées. Elle est inacceptable pour un chrétien. Jésus ne répond pas théoriquement ou intellectuellement. Il nous invite de manière très ferme et concrète à la conversion, pour ne pas nous laisser enfermer dans la sidération et la haine destructrice ou auto-destructrice. Ce serait mourir de la même mort que ces innocents. Alors de quelle conversion parle-t-il ? Peut-être que la deuxième partie de l’Évangile nous donne une clé d’interprétation. On y voit le propriétaire d’un vignoble dans lequel il y avait un figuier, impatient de le voir donner du fruit et qui, dépité, donne l’ordre à son vigneron de le couper. Et le vigneron d’intercéder pour le figuier stérile, de prendre sur lui les reproches, de promettre de bêcher tout autour et d’y mettre du fumier.
Peut-être que le figuier de notre vie, de notre emploi, de l’éducation que nous voulons apporter à nos enfants, le figuier de notre Église ou de notre vieille Europe peut nous sembler stérile comme pouvait l’être Sodome pour laquelle Abraham avait intercédé auprès de Dieu. Mais si nous nous convertissons pour travailler avec davantage d’attention et d’amour au bien de nos proches, de notre Église et de notre société -pensons par exemple aux élections prochaines-, alors oui, avec tous les acteurs d’espérance et de justice dans notre monde, chrétiens, croyants d’une autre religion ou sans religion, nous verrons après l’interminable hiver, les amandiers annoncer le printemps et, n’en doutons pas, les figuiers de notre Église donner beaucoup de fruits !