Homélie du 29 mai 2022

Que tous soient un
Jn 17, 20-26

Dans ce discours avant la passion, le Christ nous parle de la mission des disciples dans le monde avec la grande interrogation de l’unité entre les chrétiens. S’ils sont unis, ils peuvent participer à la glorification de Dieu, celle du Père et celle de Jésus. Tous ces textes tournent autour de cette injonction : que tous soient un. Une réalité spirituelle à construire. Voilà la mission.
On utilise ce texte dans les rencontres oecuméniques. Le caractère d’invitation, d’appel de ces phrases montre que cette unité, capitale pour la mission, est toujours à parfaire.
A partir de là, il faut faire une réflexion sur l’unité et la division dans la foi. Il faut s’interroger sur les lieux et les sources de la division. On pourrait parler des divisions avec les orthodoxes depuis le XI° siècle ou celles qui existent avec les protestants depuis le XVI° siècle.
Je préfère parler des divisions qui existent aujourd’hui. C’est plus sensible, mais plus proche de nous. Je ne m’intéresse pas ici aux différences superficielles de la forme ou de la couleur des costumes des uns ou des autres.
Je pars de l’exhortation du pape François, Traditionis custodes parue en juillet 2021 sur le rite extraordinaire en latin. Benoit XVI avait fixé un modus vivendi assez souple en 2007, avec une ouverture aux messes en latin un peu partout. François est plus restrictif.
C’est que l’expérience et les remontées des évêques ont montré au pape François que derrière la liturgie, il existe en fait des communautés de refus du concile Vatican II qui se constitue. Le latin et le rite liturgique traditionnel cachent des divisions profondes des traditionalistes avec l’Eglise. Pour le pape, l’unité de l’Eglise était en jeu, pas sur la liturgie mais sur le fond, sur la théologie.
Cela vient de loin. Mgr Lefebvre exprimait sa différence par le latin mais la différence était théologique et profonde, notamment sur le statut de la vérité, sur la liberté religieuse, sur le dialogue entre les religions etc. La liturgie n’était qu’une façade.
Le pape François a donc mis de nouvelles conditions beaucoup plus restrictives pour la messe en latin. Les groupes traditionalistes sont très mécontents. Mais l’enjeu est bien celui de l’unité théologique de l’Eglise. On ne peut pas jouer à cache-cache avec Vatican II. Ce concile, universel par nature, a été le fruit de discussions longues pour obtenir l’unité. Tous les textes étaient votés à 95 ou 98 % des présents pour éviter justement les divisions.
Le texte du concile sur la liturgie a été le premier voté et le plus facilement. Cela montre bien que la division actuelle sur la liturgie est une division de façade qui cache des dérives théologiques, des radicalisations, qui suivent celles qu’on observe dans la société. C’est la relation au monde qui est en jeu, avec une recherche pour certains d’un rôle immédiat de la loi chrétienne dans le monde.
L’unité de l’Eglise est fortement abimée. Elle ne sera pas rétablie par des paroles magiques mais par des efforts de tous pour revenir à l’Evangile, à son esprit, aux paroles du Christ sur l’accueil et l’ouverture du salut à tous.

Pierre de Charentenay sj.

Homélie du 22 mai 2022

6ème dimanche de Pâques C
Jean 14, 23-29

Comment peut-on parler de paix aujourd’hui ? Comment entendre ces mots du Christ dans les conditions actuelles ? Que veut dire « pas à la manière du monde » ?
Tout être humain, chacun d’entre nous, est affronté un jour ou l’autre à des angoisses, des inquiétudes, devant la maladie, la mort, pour soi-même et pour ses proches. L’indifférence et l’insensibilité devant tout cela seraient affreuses. En fait, nous sommes angoissés et inquiets parce que nous sommes réalistes, c’est-à-dire ancrés dans la réalité de notre condition, finis et libres. Et nous savons que des bonnes paroles superficielles à ce moment ne servent à rien.
Par qui ces paroles de l’évangéliste Jean entendues aujourd’hui sont-elles dites ? Ce sont les paroles d’un homme, Jésus, qui sait qu’il va vers sa mort quand il les prononce, paroles sous la forme d’un long discours de Jésus lors du dernier repas avec ses disciples. Et elles sont situées par l’Eglise avant son départ physique, fêté à l’Ascension.
La foi chrétienne ne peut se contenter de paroles superficielles, faciles, qui n’engagent pas vraiment. On a souvent reproché à la foi chrétienne « d’endormir » les hommes ; on a même parlé de « religion comme opium du peuple ». La foi chrétienne se confronte en fait aux questions vitales et essentielles. Les paroles de paix prononcées par Jésus avant sa mort montrent la véritable nature de Dieu : Dieu est avec l’homme jusque dans la souffrance ; ces paroles de paix nous rejoignent dans nos exils, dans les tourbillons de nos angoisses. Il descend lui-même dans ces abysses.
Et Jésus ajoute : « vous devriez être dans la joie puisque je pars vers le Père ». Ce qui veut dire : la suite de la mort et de la vie du Christ nous introduit dans la beauté de ce mystère d’Amour. Le Père nous aime jusque-là.
Cet appel du Christ à la paix est à portée de nos mains. On peut même dire que vous la vivez déjà quand vous aimez en sincérité, quand vos paroles vraies accompagnent vos visites à l’hôpital, quand nos sourires croisent dans la rue l’abandonné, quand vous séchez les larmes d’un enfant aves tendresse, etc …
C’est l’Esprit qui agit en nous et que nous demandons sans cesse ; c’est l’Eglise quand nous nous réjouissons de nous soutenir mutuellement sur ce chemin d’évangile. Alors, nous devenons à la fois humains et spirituels. Nous devenons chrétiens.

Michel Joseph, sj

Homélie du Pape: canonisation Charles de Foucauld

Nous avons entendu ces paroles que Jésus confie à ses disciples, avant de passer de ce monde au Père, des paroles qui nous disent ce que signifie être chrétiens : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » » (Jn 13, 34). C’est le testament que le Christ nous a laissé, le critère fondamental pour discerner si nous sommes vraiment ses disciples ou non : le commandement de l’amour. Arrêtons-nous sur les deux éléments essentiels de ce commandement : l’amour de Jésus pour nous – comme je vous ai aimés – et l’amour qu’il nous demande de vivre – aimez-vous les uns les autres.
– Tout d’abord, comme je vous ai aimés. Comment Jésus nous a-t-il aimés ? Jusqu’au bout, jusqu’au don total de lui-même. Il est frappant de constater qu’il prononce ces paroles par une nuit sombre, alors que l’atmosphère du Cénacle est pleine d’émotion et d’inquiétude : émotion parce que le Maître est sur le point de dire adieu à ses disciples, inquiétude parce qu’il annonce que l’un d’entre eux va le trahir. Nous pouvons imaginer quelle douleur Jésus portait dans son âme, quelles ténèbres s’amoncelaient dans le coeur des apôtres, et quelle amertume en voyant Judas quitter la pièce pour entrer dans la nuit de la trahison, après avoir reçu la bouchée trempée pour lui par le Maître. Et c’est précisément à l’heure même de la trahison que Jésus confirme son amour pour les siens. Car, dans l’obscurité et les tempêtes de la vie, c’est cela l’essentiel : Dieu nous aime.
– Cette annonce, frères, sœurs, doit être au centre de la profession et des expressions de notre foi : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés » (1Jn 4, 10). N’oublions jamais cela. Au centre, il n’y a pas notre capacité ou nos mérites, mais l’amour inconditionnel et gratuit de Dieu, que nous n’avons pas mérité. Au début de notre être chrétien, il n’y a pas de doctrines ni d’œuvres, mais l’émerveillement de nous découvrir aimés, avant toute réponse de notre part. Alors que le monde veut souvent nous convaincre que nous n’avons de valeur que dans la mesure où nous produisons des résultats, l’Évangile nous rappelle la vérité de la vie : nous sommes aimés. Un maître spirituel de notre époque a écrit : « Avant même qu’un être humain puisse nous voir, nous étions vus par les yeux aimants de Dieu. Avant même que quelqu’un nous entende pleurer ou rire, nous étions entendus par notre Dieu qui est toute écoute pour nous. Avant même que quelqu’un en ce monde nous parle, la voix de l’amour éternel nous parlait déjà » (H. Nouwen, Sentirsi amati, Brescia 1997, p. 50).

Cette vérité nous demande de nous convertir sur l’idée que nous nous faisons souvent de la sainteté. Parfois, en insistant trop sur les efforts pour accomplir de bonnes oeuvres, nous avons généré un idéal de sainteté trop fondé sur nous-mêmes, sur l’héroïsme personnel, sur la capacité de renonciation, sur le sacrifice de soi pour gagner une récompense. Nous avons ainsi fait de la sainteté un objectif inaccessible, nous l’avons séparée de la vie quotidienne au lieu de la rechercher et de l’embrasser dans le quotidien, dans la poussière de la rue, dans les efforts de la vie concrète et, comme le disait sainte Thérèse d’Avila à ses sœurs, « parmi les casseroles de la cuisine ». Être disciples de Jésus et marcher sur le chemin de la sainteté, c’est avant tout se laisser transfigurer par la puissance de l’amour de Dieu. N’oublions pas la primauté de Dieu sur le moi, de l’Esprit sur la chair, de la grâce sur les œuvres.
– L’amour que nous recevons du Seigneur est la force qui transforme notre vie : il dilate notre coeur et nous prédispose à aimer. C’est pourquoi Jésus dit – et c’est le deuxième aspect – « comme je vous ai aimés, vous devez aussi vous aimer les uns les autres ». Ce comme n’est pas seulement une invitation à imiter l’amour de Jésus ; il signifie que nous ne pouvons aimer que parce qu’il nous a aimés, parce qu’il donne son Esprit à nos coeurs, l’Esprit de sainteté, l’amour qui nous guérit et nous transforme. C’est pourquoi nous pouvons faire des choix et accomplir des gestes d’amour dans chaque situation et avec chaque frère et soeur que nous rencontrons.
– Et, concrètement, qu’est-ce que cela signifie de vivre cet amour ? Avant de nous laisser ce commandement, Jésus a lavé les pieds à ses disciples ; après l’avoir annoncé, il s’est livré sur le bois de la croix. Aimer signifie ceci : servir et donner sa vie. Servir, c’est-à-dire ne pas faire passer ses propres intérêts en premier ; se désintoxiquer des poisons de la cupidité et de la concurrence ; combattre le cancer de l’indifférence et le ver de l’autoréférentialité ; partager les charismes et les dons que Dieu nous a donnés. Se demander concrètement : « qu’est-ce que je fais pour les autres ? » et vivre le quotidien dans un esprit de service, avec amour et sans clameur, sans rien revendiquer.
– Et puis donner sa vie, ce qui ne se réduit pas à offrir quelque chose, comme une partie de ses biens, aux autres, mais se donner soi-même. C’est sortir de l’égoïsme pour faire de l’existence un don, regarder les besoins de ceux qui marchent à nos côtés, se dépenser pour ceux qui en ont besoin, peut être même un peu d’écoute, de temps, un coup de téléphone. La sainteté n’est pas faite de quelques gestes héroïques, mais de beaucoup d’amour quotidien. « Es-tu une consacrée ou un consacré ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels » (Exhortation apostolique Gaudete et Exsultate, n. 14).
– Servir l’Évangile et les frères, offrir sa vie sans retour, sans chercher la gloire mondaine : nous sommes, nous aussi, appelés à cela. Nos compagnons de route, canonisés aujourd’hui, ont vécu la sainteté de cette manière : en embrassant leur vocation avec enthousiasme – comme prêtres, comme personnes consacrées, comme laïcs – ils se sont dépensés pour l’Évangile, ils ont découvert une joie sans comparaison et ils sont devenus des reflets lumineux du Seigneur dans l’histoire. Faisons-le aussi, parce que chacun de nous est appelé à la sainteté, à une sainteté unique et non reproductible.
Oui, le Seigneur a un plan d’amour pour chacun de nous, il a un rêve pour ta vie. Accueilles-le. Et fais-le avancer avec joie.

Homélie du pape François
Canonisation de Charles de Foucauld – Homélie du 15 mai 2022