« Scandale » est un mot issu du latin scandalum, littéralement « ce qui est occasion de chute, ce qui fait trébucher ». La question qui est posée à Jésus dans le texte d’évangile que nous venons d’entendre en ce 3ème dimanche de carême, est littéralement scandaleuse. Elle l’était tout autant du temps de Jésus qu’aujourd’hui. La souffrance de l’innocent massacré par un Pilate sans scrupule et sans trace d’humanité est insupportable, hier comme aujourd’hui.
Comment Dieu peut-il permettre cela, surtout s’il est tout-puissant ? Dans ce premier cas, il s’agit d’un comportement sans scrupule d’un homme, mais Jésus cite un deuxième exemple encore plus scandaleux : des personnes victimes d’accidents -comme l’effondrement de la tour de Siloé- ou de phénomènes naturels pour lesquels personne n’y peut rien. Et Dieu ? Comment ne pas crier au ciel comme Job et sommer Dieu de répondre ? Comment parfois ne pas douter de son action dans le monde voire de son existence ? La souffrance de l’innocent était et reste aujourd’hui encore la principale pierre d’achoppement de la foi et c’est bien compréhensible.
En ce troisième dimanche de carême, nous faisons mémoire des victimes d’agressions sexuelles et d’abus spirituels dans l’Église, de ces enfants dont l’innocence a été brisée par des hommes vêtus comme moi aujourd’hui d’une aube blanche ou encore d’une soutane noire, d’un col romain ou arborant plus discrètement la croix du Christ. La souffrance de ces innocents qui avaient mis leur foi en ces anges qui se sont révélés être des démons, des briseurs d’enfance, est insoutenable ! Comment ne pas crier vers Dieu quand des hommes soi-disant envoyés par lui pour témoigner de son amour, ont abattu d’un coup de pied la tour de rêves et de projets que faisaient les enfants ? C’est à vomir !
Et même si nous ne sommes pas en Ukraine ou que nous n’avons pas été victimes d’agressions sexuelles au sein de l’Église, sans doute avons-nous vécu des moments de violence, des moments où nous n’avons pas été écoutés, compris, encouragées ou aimés. Sans doute nous sommes-nous déjà sentis méprisés, sans doute avons-nous connu des moments où la tour des rêves auxquels nous tenions s’est effondrée.
Et Jésus ne semble pas répondre à la question de cette souffrance. Il rejette certes, comme le Dieu de Job, une théologie de la rétribution qui voudrait que si l’homme souffre, c’est d’une certaine façon parce qu’il a fauté, même s’il n’en est pas toujours conscient. Et si ce n’est pas lui, ce sont ses parents ou ses grands-parents. Cette théologie, courante au temps de Jésus, a encore la dent dure aujourd’hui, dans notre société, y compris sous des formes sécularisées. Elle est inacceptable pour un chrétien.
Jésus ne répond pas théoriquement ou intellectuellement. Il nous invite de manière très ferme et concrète à la conversion, pour ne pas nous laisser enfermer dans la sidération et la haine destructrice ou auto-destructrice. Ce serait mourir de la même mort que ces innocents. Alors de quelle conversion parle-t-il ?
Peut-être que la deuxième partie de l’Évangile nous donne une clé d’interprétation. On y voit le propriétaire d’un vignoble dans lequel il y avait un figuier, impatient de le voir donner du fruit et qui, dépité, donne l’ordre à son vigneron de le couper. Et le vigneron d’intercéder pour le figuier stérile, de prendre sur lui les reproches, de promettre de bêcher tout autour et d’y mettre du fumier.
Peut-être que le figuier de notre vie, de notre emploi, de l’éducation que nous voulons apporter à nos enfants, le figuier de notre Église ou de notre vieille Europe peut nous sembler stérile comme pouvait l’être Sodome pour laquelle Abraham avait intercédé auprès de Dieu. Mais si nous nous convertissons pour travailler avec davantage d’attention et d’amour au bien de nos proches, de notre Église et de notre société -pensons par exemple aux élections prochaines-, alors oui, avec tous les acteurs d’espérance et de justice dans notre monde, chrétiens, croyants d’une autre religion ou sans religion, nous verrons après l’interminable hiver, les amandiers annoncer le printemps et, n’en doutons pas, les figuiers de notre Église donner beaucoup de fruits !
Vincent Klein sj
20 mars 2022